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qui la distinguent. Comme la plupart des grandes musiciennes au théâtre, elle a le sentiment parfait du caractère qu’elle représente, et suffit à la situation sans jamais en dépasser la mesure. La cantatrice, chez elle, crée la comédienne, comme on pourrait presque dire qu’elle crée la voix. L’art a de ces ressources admirables. Vous entendez à chaque instant le vulgaire s’écrier : Il n’y a plus de sopranos, il ne se fait plus de ténors. — Ce ne sont point les belles voix qui manquent aux artistes, mais les artistes qui manquent aux belles voix. Qu’est-ce qu’une belle voix sans le style ? Soyez musicienne d’abord, et tout le reste vous viendra par surcroît ; voyez Pauline Viardot, Caroline Duprez. Lorsque Meyerbeer songea à lui confier l’Étoile du Nord, il semblait que sous le puissant fardeau de cette musique une organisation si délicate, si fragile, infailliblement dût succomber. Meyerbeer laissa dire, et cette fois encore l’événement donna raison à son instinct. M. Victor Massé, qui sait à son tour ce que vaut cette force du style et de la volonté, a suivi l’exemple du maître, et bien lui en a pris, car ce rôle, musical à outrance, écrasant, ne pouvait avoir d’autre interprète. Ce que nous l’avons vue jadis dans l’Étoile du Nord, Caroline Duprez l’est aujourd’hui dans Fior d’Aliza. On dirait une réduction, au point de vue de l’heure présente, du Fidelio de Beethoven. — M. Achard joue et chante avec un sentiment exquis la partie de Geronimo, l’amant plaintif et déplorable de Fior d’Aliza. C’est là du moins un ténor dont on peut parler, une voix aimable et charmante qui, tout en restant dans les conditions du genre, sait se prêter, lorsqu’il convient, à la grande expression musicale. Impossible de mieux enlever la belle phrase avec Fior d’Aliza, qui se détache en majeur des masses vocales dans le quatuor des bûcherons, de montrer dans l’air du quatrième acte plus de goût, de nuance, de chaleur dramatique. Du reste l’ensemble de l’exécution est parfait. On y sent quelque chose de plus que l’émulation ordinaire. La confraternité parmi les artistes n’est pas toujours un mot si vain. Tout le monde à l’Opéra-Comique souhaitait, voulait un succès éclatant pour l’auteur des Saisons, de Galathée, des Noces de Jeannette, une sorte de mise en lumière définitive de son nom encore trop effacé. Toutes les sympathies étaient dans son jeu, c’était beaucoup sans doute ; mais ce n’était point assez pour lui faire gagner la partie, s’il n’eût très galamment payé de sa personne et composé cette partition de Fior d’Aliza qui le place au premier rang des jeunes maîtres.


F. DE LAGENEVAIS.