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REVUE MUSICALE

La question des prix de Rome est un de ces vieux thèmes auxquels semble acquis le privilège de servir périodiquement aux amplifications bien senties des aristarques de la littérature musicale. Chateaubriand disait : « Nous passons notre vie à mener avec des brides d’or trois ou quatre vieilles rosses de souvenirs que nous prenons pour des espérances. » Combien, dans leur écurie, ont de ces dadas familiers toujours prêts à répondre à l’appel de langue ! Au premier mot de la réplique, ils dressent l’oreille, commencent à piaffer ; le maître arrive, enfourche la monture, puis, après avoir fort gravement exécuté la sarabande accoutumée, ramène le poulet d’Inde au râtelier jusqu’à ce qu’une nouvelle occasion se présente de reproduire le même tour. Il y a de ces questions qui sont de vieux chevaux de manège à l’écurie. La question des prix de Rome en est une, et des plus commodes ; sous un cavalier expert à la manœuvre et pas trop cacochyme, je n’en sais point qui rende davantage. Que veut l’état ? à quoi pense l’état ? Voici un jeune homme qui lui doit son éducation, ses talens, qui lui doit cinq années de bien-être et de liberté, et lorsqu’après un long séjour à Rome, en Italie, lorsqu’après un voyage à travers toutes les capitales de l’Allemagne, le lauréat rentre dans son pays, c’est pour y subir la loi commune, pour y apprendre qu’il ne faut en ce monde se fier qu’à son mérite, et qu’au théâtre comme ailleurs on n’arrive qu’à la condition d’être quelqu’un. « Eh quoi ! monsieur, vous ne vous appelez ni Meyerbeer, ni Auber, ni Halévy, et vous prétendez composer de la musique, et vous vous imaginez que vos opéras, je les jouerai, moi directeur ? Vous m’affirmez que vous avez eu le prix de Rome, c’est possible ; mais en attendant, moi, je ne vous connais pas ! » L’homme d’esprit qui, dans ses loisirs de l’Opéra-Comique, s’amusait à ces sortes de boutades donnait peut-être simplement couleur d’humour à la sagesse de tout directeur de spectacle. La sentimentalité n’a rien à voir dans les affaires, et c’est une affaire, je suppose, que de conduire un théâtre, et si laborieuse, si