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d’honneur que de se déclarer offensé, si l’on n’est pas cru sur parole en affaire criminelle. Si l’erreur et la passion ne jouent aucun rôle dans les affaires de ce monde, si le point d’honneur tient lieu de tout, à quoi bon ces prescriptions de défiance dont les lois humaines sont sagement remplies ? Pourquoi notre cour des comptes ne se contente-t-elle pas de la parole d’honneur des comptables publics ? Pourquoi chez nous ces débats judiciaires, ces plaidoiries, ce verdict du jury, si le magistrat instructeur est infaillible ? Et doit-il, comme Vatel, se passer son épée au travers du corps lorsqu’un acquittement déclare qu’il s’est trompé ? Enfin, sans établir aucune comparaison entre la magistrature de France et celle d’Angleterre, dira-t-on que les magistrats anglais, qui ne peuvent considérer leur état comme une carrière à parcourir, qui n’ont au-dessus d’eux que le parlement et qui n’ont rien à demander ou à espérer d’aucune puissance terrestre, sont des gens sans honneur ? Et cependant demandent-ils à être crus sur parole à New-York, et s’opposent-ils le moins du monde à ce qu’on cesse chez nous de les croire sur parole, si nous devenions pour notre bien un peu plus soucieux de notre liberté individuelle et des droits de l’étranger ? Le juge anglais qui a délivré le mandat d’arrestation de l’assassin Muller n’a-t-il pas envoyé en Amérique tous les documens qu’on nous priait d’envoyer à Calcutta pour Teissier ? N’a-t-on pas plaidé contre son mandat à New-York, n’a-t-on pas cherché à lui disputer l’accusé devant le juge américain par tous les moyens et tous les argumens imaginables ? Enfin ne sommes-nous point nous-mêmes exposés à traverser les mêmes épreuves, si nous réclamions un fugitif aux États-Unis, car nous devons avoir un traité d’extradition avec cette puissance, et nous n’avons pas encore entendu dire qu’il fût question de le dénoncer ?

Si cependant nous supportons cet état de choses aux États-Unis, pourquoi nous paraît-il intolérable en Angleterre ? Et comment prétendre sérieusement qu’il est intolérable lorsqu’on regarde de près la question comme nous venons de le faire ? La loi anglaise nous dit simplement : « Établissez publiquement contre l’accusé fugitif ces mêmes indices qui ont motivé votre mandat d’arrêt, et, le privant aussitôt du droit d’asile que j’accorde à tout étranger, je vous le livre. » Plus on examine cette condition que l’Angleterre s’impose volontiers à elle-même en pays étranger, plus on reconnaît qu’il n’est ni difficile ni déshonorant de la remplir ; en revanche, l’inexécution de la convention de 1843 et l’avortement de la convention de 1852 indiquent assez clairement quels obstacles l’on rencontre et à quelles déceptions l’on s’expose lorsqu’on a pris le parti de s’en dispenser.


PREVOST-PARADOL.