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fait sa royauté ; il crut presque pouvoir se défendre, et en même temps éclatait tout à coup une nouvelle étrange qui inquiétait terriblement le duc d’Albe : Philippe II venait d’être attaqué à Badajoz d’une maladie soudaine qu’on prit d’abord pour la peste. La mort de Philippe pouvait tout changer, tout remettre en question ; mais ce ne fut qu’un éclair. Philippe se remit bien vite, et le prieur de Crato, chassé de son dernier refuge de Porto, disparut subitement de la scène pour mener la vie errante et obscure du prétendant proscrit. Ce ne fut que trois mois après, au commencement de 1581, qu’il put s’embarquer pour la France. Il passa ces quelques mois à battre les monts et les vallées du Portugal, réduit à changer tous les jours d’asile et à se cacher sous tous les déguisemens, poursuivi, traqué, souvent serré de près par les Espagnols acharnés à le prendre et ne leur échappant quelquefois que grâce à la fidélité, au dévouement qu’il rencontrait encore. Une nuit, exténué d’une longue course, il s’arrêta pour se reposer au bord d’une rivière, lorsqu’on entendit tout à coup le pas des chevaux d’un détachement lancé à sa poursuite. La captivité aux mains des Espagnols était ce qu’il redoutait le plus, et il n’y avait ni barque ni aucun moyen de passer la rivière. Il eut un moment de désespoir. Un des plus obscurs de ses compagnons le prit aussitôt dans ses bras, se jeta à la nage avec ce fardeau d’un roi en détresse, et alla le déposer sur l’autre rive. C’était une vie mêlée d’aventures romanesques, de tribulations et de dangers. Le plus souvent il trouvait une hospitalité sûre et discrète dans les couvens de religieuses des contrées du Minho et chez des gens du peuple, chez des laboureurs. Personne ne le trahit. Une sorte de pitié populaire l’accompagnait et semblait voir en lui la pâle et errante image de l’indépendance portugaise réduite à se cacher dans les montagnes en attendant de disparaître tout à fait sur quelque navire préparé par une fidélité ingénieuse. Il n’était plus en réalité que cela devant l’astre ascendant de la domination étrangère.

C’est qu’en effet la défaite d’Alcantara avait été la déroute irréparable de l’indépendance. La prise de Lisbonne avait décidé de la soumission du Portugal en décourageant toutes les résistances, qu’un peu plus de bonheur qu’un peu plus d’habileté eût ralliées peut-être, et c’est ainsi que s’accomplissait l’annexion commencée par la diplomatie de Moura, poursuivie par les bataillons du duc d’Albe, définitivement consommée par Philippe II lui-même, qui arrivait bientôt à Lisbonne pour mettre le sceau de ses armes et de sa politique sur un royaume transformé en province. En peu de temps, l’occupation espagnole s’étendit au pays tout entier et à ses possessions ; il n’y avait plus qu’un point, les îles Terceires, où