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chaque peuple, en ce qui touche l’extradition des accusés, doit varier selon la situation légale que ce même peuple fait à l’étranger dans son sein. Chez une nation, par exemple, qui ne se piquerait point de garantir la liberté et la sécurité de l’étranger, qui mettrait légalement l’étranger sous la main et à la discrétion du pouvoir, il est clair que l’extradition rencontrera peu d’obstacles, et que, pour le gouvernement qui la réclame, la difficulté de l’obtenir sera réduite à son minimum. Chez une nation au contraire qui accorde à l’étranger réputé innocent une somme considérable de liberté et de sécurité, l’extradition devient naturellement une plus grande affaire et ne s’obtient qu’avec beaucoup plus de peine. Ces vérités sont trop simples et s’imposent trop nécessairement à l’esprit pour y insister plus longtemps.

Si l’on cherche maintenant d’où vient que la situation légale de l’étranger est si différente selon le peuple chez lequel il réside, on s’aperçoit aussitôt que la quantité de liberté et de sécurité accordée par chaque état aux résidens étrangers est en proportion constante avec les garanties que cet état accorde à la liberté et à la sécurité de ses propres citoyens. Dans l’empire ottoman par exemple, où le citoyen indigène a le minimum de garanties qu’on puisse concevoir dans un état civilisé, l’étranger, même innocent, reste sous la main du gouvernement de son pays et peut être à chaque instant, sur la simple demande de ce gouvernement, chassé ou enlevé du territoire. Dans les autres états du continent européen, la position de l’étranger est plus ou moins précaire et toujours relative à la situation du citoyen. Il serait difficile en effet que l’étranger eût plus de droits que le citoyen, que sa liberté et sa sécurité fussent mieux garanties que celle de tous ceux qui l’entourent ; s’il existe entre eux et lui une différence, il est plus naturel qu’elle soit à son préjudice, et que sa situation légale, s’élevant ou s’abaissant avec le niveau général, soit d’un degré au-dessous de la liberté et de la sécurité communes. C’est ainsi qu’en Angleterre le vote d’un alien bill, qui peut apporter en temps de crise des restrictions à la liberté et à la sécurité de l’étranger, coïncide naturellement avec la suspension de l’habeas corpus, qui apporte aussi des restrictions exceptionnelles à la liberté et à la sécurité du citoyen. En un mot, la situation légale de l’étranger varie selon les temps et les lieux, elle est en général au sein de chaque peuple en rapport constant avec la condition légale du citoyen.

Il suffit d’avoir saisi ces vérités si simples pour comprendre aussitôt combien est chimérique la prétention aujourd’hui à la mode d’établir, au milieu de cette variété inévitable et tenant à la nature des choses, une règle générale ou une procédure commune en