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culpabilité qui l’obligeraient à envoyer l’accusé devant le jury, s’il était sujet de la reine. C’est donc dans cette instruction publique et contradictoire que doivent figurer les charges fournies par le gouvernement étranger qui réclame l’extradition de l’accusé, et ces charges doivent emporter la conviction du juge, non pas sur la question de savoir si l’accusé est certainement coupable, mais sur cette question préalable : — ya-t-il contre l’accusé des indices suffisans de culpabilité pour constituer ce qu’on appelle en Angleterre un prima facie case et pour justifier sa mise en accusation devant le jury, s’il était Anglais ? À cette théorie le gouvernement français répond que la production de son mandat d’arrêt doit suffire, et que ce document constitue une preuve d’un assez grand poids pour déterminer l’extradition qu’il réclame. On voit la distance qui sépare ici l’opinion des deux gouvernemens, et l’on comprend sans peine les difficultés qui devaient sortir de deux façons de voir si différentes.

Avant d’examiner si la théorie du gouvernement français est conforme aux termes de la convention de 1843, ou si au contraire la manière anglaise de procéder n’a pas été prévue et explicitement acceptée par cette convention, demandons-nous d’où vient entre les deux gouvernemens une différence d’opinion si marquée sur le plus ou moins de facilité que doivent s’accorder entre elles les nations civilisées pour l’extradition réciproque de leurs nationaux. On a lieu de penser, en lisant les documens relatifs à cette affaire, qu’aux yeux du gouvernement français le plus ou moins de facilité que s’accordent mutuellement les peuples pour l’extradition de leurs nationaux est en raison de leur civilisation même, et que plus leur civilisation est avancée, plus cette facilité est grande. Si quelque peuple se montre difficile en matière d’extradition, s’il entoure cet acte de conditions rigoureuses, c’est qu’il a gardé quelque chose de la notion barbare du droit d’asile, c’est qu’il n’est point suffisamment pénétré de l’idée nouvelle que recouvre le mot également nouveau de solidarité des peuples, c]est qu’il n’a pas suffisamment compris que les nations civilisées doivent former aujourd’hui une grande famille.

Il nous en coûte de ne pouvoir adopter sans restriction cette façon philanthropique et élevée de traiter la question si délicate de l’extradition des accusés ; mais nous ne pourrions, sans fermer les yeux à l’évidence, souscrire d’emblée à cette opinion que la civilisation d’un peuple peut se préjuger d’après le plus ou moins de facilité que cette extradition des accusés rencontre sur son territoire. Une classification qui, aux termes mêmes de la dépêche du 29 novembre, nous obligerait à placer l’Angleterre au dernier rang des nations