Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/1008

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

remit une lettre confidentielle bien fermée, et, malgré de justes soupçons inspirés par son ancien grade de colonel juariste, on le relâcha.

A la tombée du jour, on finit par découvrir, à l’extrémité d’immenses cultures de maïs, l’hacienda de Santa-Maria. La cour intérieure était encore pleine de litière fraîche ; une trentaine de guérillas avaient en effet campé sous les fenêtres de M. Ortiz, qui, pour éviter nos questions, prétexta une maladie et resta couché toute la soirée. Nos deux gendarmes, en faisant causer les nombreux peones de Santa-Maria, apprirent bientôt qu’un nouveau parti de cavaliers levés la veille dans la ville d’Hidalgo avait passé là pour se réunir à Mendez, dont le rancho, appelé Enchillado, est perché sur la rive gauche de la Corona, en face de Santa-Maria. En fouillant Enchillado, nos éclaireurs s’emparèrent d’un Indien qui déclara courageusement que depuis vingt ans il était le serviteur de Mendez. Le prisonnier dut sa liberté à la franchise qu’il montrait dans ce moment suprême. Mendez répondit à cet acte de générosité par un bando qui ordonnait à tous de faire le vide devant les Français sous peine de pendaison. En effet, plus nous avancions, plus la solitude était menaçante ; elle n’était troublée que par les coups de fusil échangés entre nous et les vedettes éventées par les chiens galopant nuit et jour en tête de notre colonne. Pourtant la route d’Hidalgo est semée de ranchos et d’haciendas.

La ville d’Hidalgo, moitié moins grande que Vittoria, avait été évacuée à la hâte dès l’apparition du bando. Toute la population, chargée de ses effets les plus précieux, avait gagné les bois. Les maisons étaient désertes ; partout on trouvait des traces de cartouches récemment fabriquées. Au coin de la place principale, près de l’église où la contre-guérilla débouchait au pas de course, en travers et sur le seuil de l’unique porte ouverte, était étendu un large pavillon américain. Derrière le pavillon, un homme pâle, les bras croisés, de haute stature, la tête découverte, attendait immobile. Pressées à ses côtés, pleuraient de terreur sa femme et ses deux filles. C’était un consul américain, M. Daniel Hastings. Après un échange de cordiales paroles, le consul déclara en secret à l’officier français que Mendez en personne lui avait dit la veille qu’il voulait attirer les contre-guérillas à Hidalgo, leur couper les communications, et les attaquer à outrance au moment de leur retour avec des forces bien supérieures. Mendez connaissait exactement le chiffre de notre effectif, qu’il avait fait compter. Tous les notables d’Hidalgo s’étaient enfuis à Villagran ; la mission dont nous étions chargés ne pouvait donc se terminer que douze lieues plus loin, à Villagran même.

En quittant Hidalgo, on parcourt un terrain toujours varié : on