Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/1007

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

condamnés à un bain de jambes glacial, car le vent du nord avait soufflé toute la nuit, et au moment du lever du soleil, heure à laquelle le froid est toujours le plus intense, le thermomètre était descendu à dix degrés au-dessous du zéro : à midi, le jour même, il atteignit trente-six degrés de chaleur. La rive opposée de la Corona était couronnée par une hacienda qui a été une résidence princière. En avant de ses deux ailes, deux villages, habités par les serviteurs de l’habitation, s’échelonnent sur la pente. En arrière des bâtimens, d’immenses plantations d’orangers produisent par an, en temps d’exportation facile, de 6 à 7,000 piastres. C’est aujourd’hui le domaine du général La Garza, l’ancien gouverneur qui s’est rallié à nous, et qui, pour ménager la situation, s’est rendu à Mexico, confiant ses biens à son frère cadet Bautista La Garza. Ce dernier, qui s’était tenu à l’écart de la junta, déguisa mal son antipathie pour les Français pendant la courte halte qu’ils firent à cette hacienda de Santa-Engracias. Nous apprîmes aussi que Meniez avait passé la soirée et la nuit précédentes en compagnie du jeune La Garza après son embuscade infructueuse de la Palmita, que sa troupe s’était ravitaillée dans les magasins de Santa-Engracias, et que Meridez, après avoir pompeusement annoncé l’intention de nous attendre et de nous détruire dans cette position, avait décampé le matin à notre approche et s’était rejeté en arrière vers Hidalgo.

A la sortie des plantations de Santa-Engracias, le pays est accidenté : ce n’est plus ni la terre chaude ni la plaine, ce n’est pas encore la montagne. C’est une succession de bosquets favorables aux embuscades. Aussi notre avant-garde se glissait silencieuse, fouillant du regard tous les recoins du bois, tenant toujours à distance l’ennemi qui battait en retraite. Au détour d’une vereda, elle surprit un brigand armé, qui se cacha sous un faux nom, mais qui fut vite reconnu par un de nos guides comme le célèbre. Galindo, le plus fameux bandit de tout le Tamaulipas, et passé par les armes. Un peu plus loin, Un vrai gentleman, lancé au galop, à qui sans doute Galindo servait d’éclaireur, se croisa au sommet d’un mamelon avec nos avancées. Il avait fort bonne mine et parlait français. Il déclara être Rafaël de La Garza, frère aîné du général. Sa présence dans ces parages était fort suspecte, car malgré le décret il était armé de revolvers, marchait sans passeport, et ne s’était encore présenté à aucune autorité. Il voyageait seul, à son aise, sans peur des guérillas, et de plus il sortait de l’hacienda voisine, Santa-Maria, domaine de M. Ortiz, son beau-frère, où l’ennemi avait aussi campé la dernière nuit. Cependant il donna sa parole qu’il était étranger aux bandes et qu’il se présenterait avant cinq jours au colonel Du Pin ; il réclama même une lettre d’introduction. On lui