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produit les chemins de fer et de mesurer, autant que cela est possible, les services qu’ils ont déjà rendus dans l’organisation de ce grand atelier qui s’appelle la société. Nous voudrions dresser ainsi l’inventaire des chemins de fer pour ce qui concerne la France. Laissant de côté les questions techniques et les combinaisons financières, nous nous appliquerons à étudier les problèmes et les faits économiques qui naissent de l’existence des voies ferrées : problèmes difficiles qui, après de longs débats, ne sont pas encore résolus par la science ni par la législation ; faits multiples et divers, qui nous entourent pour ainsi dire et nous pressent de toutes parts, et auxquels nous ne prenons pas garde, parce qu’ils nous sont devenus habituels et familiers. En outre, s’il paraît utile d’examiner, ne serait-ce que pour ordre, le bilan des chemins de fer, il n’importe pas moins d’apprécier les critiques qui s’adressent à l’exploitation. Ces critiques sont-elles reconnues fondées ? Les procédés à l’aide desquels ont été établis les chemins de fer sont-ils condamnables ? Il faut y pourvoir sans retard et tirer des erreurs du passé un enseignement utile pour l’achèvement du réseau ; mais si les accusations sont fausses ou exagérées, si les procédés adoptés se justifient par l’expérience, il convient de le démontrer et de le proclamer bien haut, car, pour un travail aussi vaste, il est essentiel que les situations soient nettes, et que les entreprises de chemins de fer comme le public sachent décidément à quoi s’en tenir sur les conditions que l’avenir leur réserve. Ce sont là des questions délicates qui veulent être traitées sans passion, et qui, par leur importance, par l’universalité des intérêts qu’elles engagent, par leur influence sur la société tout entière, provoquent les plus sérieuses études de la science économique.


I

Comment est-on arrivé à préférer l’action de l’industrie privée à celle de l’état pour l’établissement du réseau français ? Dans quel intérêt les concessions de chemins de fer ont-elles été peu à peu révisées et concentrées entre les mains d’un petit nombre de compagnies ? Quel est le caractère de ces concessions ? — Tels sont les trois points qu’il importe d’éclaircir tout d’abord.

Lorsque en 1837 le gouvernement français se décidait à aborder le problème des chemins de fer, il avait sous les yeux l’exemple de la Grande-Bretagne, où tout était laissé à l’initiative de l’industrie privée, et l’exemple de la Belgique, où l’état s’était réservé la construction et l’exploitation. L’industrie particulière aurait-elle en France les capitaux et le crédit suffisans pour entreprendre l’œuvre immense qu’elle poursuivait en Angleterre avec tant d’énergie ? Bien