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parc les ombres des grands arbres. Son image, réfléchie dans le lac, semblait se jouer sur les eaux transparentes. Quelle admirable soirée ! Comment la rêverie ne s’emparait-elle pas des convives à la vue de cette sereine clarté des constellations poursuivant à travers la profondeur des cieux leur marche silencieuse ? Comment ne pas contempler avec recueillement ces armées d’étoiles évoluant sous le regard de Dieu ? L’été nous donne parfois, — trop rarement, hélas ! — de ces soirs d’une beauté merveilleuse, si tièdes, si calmes, si doucement éclairés par le scintillement des astres, qu’il est impossible de ne pas se croire transporté dans un monde privilégié où règnent la paix des cœurs et la concorde des esprits, où le mai a cessé d’exister, où tout est harmonie et espérance.

Tandis que je demeurais ainsi en contemplation, Mlle Trégoref s’approcha de moi et me dit avec un malin sourire : — Que faites-vous là, monsieur Desruzis ?

— J’admire le ciel, les étoiles…

— C’est très bien, reprit-elle ; mais, si nous restions tous ainsi à admirer les astres, la bouche béante et sans rien dire, avouez que nous serions passablement ridicules… Mon Dieu ! que vous êtes étrange !… Voyons, soyez aimable, venez vous asseoir à une table de whist.

— Mais je ne sais pas jouer.

— Venez, vous dis-je. Vous ne savez pas jouer ? Allons donc, qui est-ce qui ne connaît pas le whist ?

Il me fallut obéir. Je joue un peu, mais si mal !… Puis j’ai les cartes en horreur !… J’eus des distractions, je commis des fautes énormes, je perdis, au grand déplaisir de ma partner, et le cousin Legoyen, qui jouait dans la perfection, rit de bon cœur de mes maladresses. Mlle Trégoref ne me ménagea pas non plus. Elle avait ce soir-là une gaîté, un enjouement que je ne lui soupçonnais pas ; elle était vive, railleuse, sémillante. D’où provenait tant d’allégresse ? D’une cause bien simple : parmi les dames qui se trouvaient réunies dans le grand salon du château, il n’y en avait pas une qui pût rivaliser avec Emma de grâce et de fraîcheur : c’était ce triomphe, dont elle avait le sentiment, qui la rendait si heureuse. Dans le fait, elle était ravissante. L’animation de la soirée donnait à l’extrême délicatesse de son teint un éclat inaccoutumé ; son œil bleu rayonnait sous ses longs cils blonds, et ses cheveux aux reflets soyeux flottaient en longues boucles sur son cou, d’une blancheur incomparable. À ce moment-là, Mlle Trégoref ressemblait à ces jolies têtes de Greuze qui joignent à la solidité du pinceau le moelleux du pastel.

— Eh bien ! me dit tout bas Mme Legoyen, lorsque je quittai la table de jeu, que dites-vous de ma sœur ?