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lés une première fois par Méhémet-Ali. Le chérif Ibn-Aoun avait acquis de grandes richesses. Il exerçait beaucoup d’influence sur les Bédouins et se montrait complaisant pour leur passion séculaire, c’est-à-dire pour le rançonnement des voyageurs. Il était intervenu plusieurs fois avec succès par le prestige religieux de son origine tant dans le Nedjd que dans l’Yémen. le prince de l’Acyr était son allié. Le chérif passait même pour être en relations amicales avec Abbas-Pacha, vice-roi d’Égypte il n’en fallait pas davantage pour le faire accuser d’aspirer à l’indépendance. Vers le mois d’août 1852, le pacha de Djeddah reçut l’ordre d’envoyer le chérif à Constantinople avec ses deux fils. La trahison seule pouvait assurer l’exécution d’un tel ordre. Les jeunes chérifs furent mandés à Djeddah, où des troupes avaient été réunies sous le prétexte d’une expédition militaire dont la direction serait confiée à l’un d’eux. Ils se rendirent au palais pour y entendre la lecture du firman d’investiture. Il est d’usage dans ces circonstances de déployer un grand appareil militaire. La lecture eut lieu. Quand elle fut terminée, le gouverneur exhiba l’ordre qu’il avait reçu d’envoyer les deux chérifs à Constantinople, et les portes du palais se refermèrent derrière eux. Le même jour, le pacha militaire de La Mecque cernait l’habitation du grand-chérif avec des troupes et de l’artillerie, mèche allumée. Ibn-Aoun comprit que toute résistance était inutile, et cet homme, qui aurait pu, une heure auparavant, soulever d’un cri presque toutes les tribus et peut-être expulser momentanément les Turcs du Hedjaz, fut amené à Djeddah et embarqué avec ses fils. C’était la seconde fois qu’Ibn-Aoun était conduit en exil, et il devait encore en revenir. Cette exécution frappa de stupeur toutes les tribus.

Abd-el-Moutaleb, de la tribu de Zeïd, fils du chérif Ghaleb dépossédé par Méhémet-Ali en 1813 et héritier légitime du siège de La Mecque, arriva presque aussitôt à Djeddah. Il y fut reçu avec solennité et respect tant par les autorités turques que par les chérifs venus de la ville sainte. Quelles qu’aient été au début les promesses ou les dispositions personnelles de Moutaleb, un changement de personnes ne pouvait pas modifier la situation respective des Arabes et des Turcs dans le territoire sacré, cette situation étant le résultat de la juxtaposition de deux pouvoirs différens par leur caractère et par leur origine, le grand-chérifat et l’administration ottomane. Le nouveau grand-chérif était à peine installé depuis quelques mois qu’il adoptait un système d’isolement et vivait dans les termes les plus froids avec le gouverneur de Djeddah. À la première visite qu’il fit à La Mecque, Kiamil-Pacha essaya de se concilier son rival naturel par des marques extérieures de la plus grande déférence ; il ne réussit qu’à lui inspirer des soupçons sur ses intentions