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marcher en avant contre les Schapsougs. D’ailleurs ce traité était incompatible avec la politique secrète qui avait prononcé un arrêt de bannissement contre les montagnards. Néanmoins le maréchal jugea qu’il était sage pour le moment de dissimuler sa désapprobation et dangereux de s’attirer sur les bras toutes les forces d’une tribu belliqueuse avant d’avoir achevé de prendre toutes ses dispositions. Il ratifia les conditions souscrites parle général Philipson, et résolut d’attendre, ce qui ne pouvait manquer d’arriver, l’infraction ouverte du traité par les Abadzekhs. Dans l’intervalle, il comptait profiter de leur inaction pour agir contre les Schapsougs. En septembre 1860, il remit la continuation des opérations militaires au général comte Yevdokimof, qui s’était illustré précédemment par la prisé, en plein hiver, de l’aoûl de Véden, véritable nid d’aigle au sommet des montagnes où s’abritait Schamyl. Il le manda du fond de la Tchetchenia, province récemment pacifiée, et que le général avait été chargé de réorganiser. Des préparatifs immenses furent faits en matériel de guerre et en approvisionnemens, des masses de troupes concentrées au pied de la montagne. Le comte Yevdokimof, secondé par des officiers qui avaient fait leurs preuves dans la guerre du Caucase, — les généraux-majors prince Mirskii, Kartsef, Heymann et Grabbe, — se mit en mesure de prendre l’offensive avec une nouvelle vigueur. Conformément aux vues qu’avait fait prévaloir à Saint-Pétersbourg le prince Bariatinskii, la mission, du général Yevdokimof était non-seulement de combattre et d’expulser les montagnards, mais de déblayer le territoire abandonné par eux des forêts dont il était couvert, de percer des routes, d’y élever des forts et des habitations, et d’y attirer les populations cosaques ou russes, comme élément nouveau de colonisation.

Pendant les premiers mois qui suivirent le traité conclu avec les Abadzekhs, ils ne bougèrent pas, et la tranquillité ne fut troublée nulle part chez eux. Leur influence contint même quelques tribus adighès, placées entre la Laba et la Biélaya ; mais peu à peu plusieurs de ces petites communautés recommencèrent leurs déprédations, des Abadzekhs furent vus jouant un rôle actif dans les rangs des Schapsougs. Leur pays, fermé aux Russes et même à l’officier qui, en vertu de la convention de Kamkheta, leur avait été imposé pour les gouverner, était ouvert aux émissaires musulmans et aux aventuriers européens débarqués sur la côte. L’intervention des anciens, comme garans de cette convention, était devenue inutile ; ils n’avaient point assez d’autorité pour forcer l’adhésion de toute la tribu. Le prince Bariatinskii décida que les Abadzekhs seraient sommés de se rendre à discrétion et, dans le cas d’un refus facile à prévoir, attaqués résolument.