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comme les gradins d’un immense amphithéâtre, dans un labyrinthe de forêts, la plus puissante des nations du Caucase occidental, les Abadzekhs, vivait fière de sa supériorité sur les autres tribus et de son indépendance. Dans l’automne de 1859, le général Philipson, qui avait remplacé le général Kozlovskii dans le commandement de la province du Kouban, reçut l’ordre de s’avancer contre eux. C’était au moment où la capture de Schamyl avait répandu partout la terreur et le découragement. Méhémet-Amin, qui était à la tête des Abadzekhs, désespérant de l’issue de la lutte et cédant à des considérations d’intérêt personnel, engagea la tribu à traiter avec les Russes. Le 20 novembre 1860, des conférences s’ouvrirent dans un lieu nommé Kamkheta. Méhémet-Amin et les anciens prêtèrent serment de fidélité éternelle au tsar. Les conventions du traité qui intervint méritent d’être connues, car elles révèlent l’esprit, les prétentions et les espérances de ces montagnards. — 1° Les Abadzekhs prenaient l’engagement d’accepter le chef qui leur serait donné, de cesser les brigandages sur la frontière russe, de dénoncer ceux qui s’en rendraient coupables, de ne point participer aux agressions des tribus rebelles, d’expulser tous les malintentionnés et de rendre les transfuges. 2° En retour, ils devaient conserver leurs antiques privilèges, leur religion, la liberté d’aller en pèlerinage aux lieux saints de l’islamisme, être affranchis de tout impôt ou de toutes prestations en nature, du recrutement militaire, de l’enrôlement en corps de Cosaques. 3° Ils auraient la faculté de prendre du service, comme volontaires, dans l’armée russe, avec droit à l’avancement et aux récompenses militaires. 4° Les communautés abadzekhs seraient conservées dans leur intégrité actuelle sans pouvoir être jamais dissoutes. 5° Leur territoire resterait à perpétuité leur propriété incommutable, et aucune portion ne pourrait en être détachée pour y fonder des stanitzas. 6° Les serfs attachés à la glèbe ne cesseraient point d’appartenir à leurs maîtres respectifs, et si l’un d’eux venait à s’enfuir chez les Russes, il serait rendu sans conditions. 7° La nation aurait le droit de s’administrer elle-même suivant ses antiques usages ; l’officier russe placé à sa tête serait agréé par elle, et n’aurait d’autre pouvoir que celui d’intervenir dans les jugemens pour faits de rébellion, ou en cas d’appel des décisions du conseil dirigeant, composé des anciens.

Ce traité n’était évidemment qu’une transaction provisoire, une simple trêve, conclue sous les auspices et par les menées de Méhémet-Amin ; il était douteux qu’il fût ratifié par l’assemblée de la nation, dont la majorité restait inébranlable dans son antipathie contre les Russes. De son côté, le commandant supérieur du Caucase, le feld-maréchal Bariatinskii, y trouvait le grave inconvénient de laisser les Abadzekhs en armes sur le revers de l’année prête à