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Tout récemment encore et postérieurement au traité de Paris, l’Angleterre n’avait point renoncé aux objections qu’elle opposait à l’exclusion des neutres sur cette côte. Dans une lettre de lord Malmesbury au baron Brunnov, ambassadeur de Russie à Londres, en date du 14 octobre 1858, ces objections sont reproduites absolument avec le même fonds d’idées et dans le même langage que l’on retrouve dans la consultation des légistes anglais au sujet de la prise du Vixen. Les argumens mis en avant par l’ambassadeur de Russie dans sa réponse du 21 octobre suivant ne manquent pas de force et semblent prouver du moins la bonne foi du gouvernement russe. Il dit que la cession du littoral oriental de la Mer-Noire fut le prix de la restitution faite par son gouvernement à la Porte des provinces dont la guerre de 1828 l’avait mis en possession et de l’abandon d’une partie de l’indemnité que cette guerre avait imposée à la Turquie. Dans les conférences préparatoires du traité de Paris, l’état des territoires situés à l’est de la Mer-Noire ayant été examiné et vérifié, aucune réclamation des membres du congrès ne vint contester ou invalider les droits que s’attribue la Russie, et le silence du grand-vizir, premier plénipotentiaire ottoman, présent à ces conférences, peut être considéré comme une adhésion à cette reconnaissance tacite. Cependant une difficulté dont M. le baron Brunnov ne paraît pas s’être préoccupé et qui domine tout le débat est de savoir si le sultan lui-même était réellement en droit de disposer en toute souveraineté du territoire tcherkesse et de le céder à titre gratuit ou onéreux. Si nous interrogeons les Tcherkesses, partie principale dans ce procès où ils n’ont été ni appelés ni entendus, ils nous répondront qu’ils ont toujours repoussé toute idée de domination étrangère et de subordination à un maître quelconque, que, tout en proclamant le sultan comme leur chef religieux, le successeur de Mahomet et des khalifes, le pontife suprême de l’islamisme, ils ont constamment vécu dans une ignorance complète et dans une parfaite insouciance de ses prétentions politiques sur eux. A vrai dire, cette revendication de leur territoire par la Porte a son origine ou plutôt son prétexte dans des faits déjà anciens ; elle a pour base une prescription séculaire, mais cette prescription n’atteint que deux ou trois points du littoral. Les montagnards, à la première apparition des Turks dans leur pays, vers la fin du XVIe siècle, les accueillirent comme leurs coreligionnaires et leurs frères par la foi ; ils les laissèrent s’y établir tranquillement, bâtir quelques forteresses sur la côte, sans leur permettre toutefois de pénétrer dans l’intérieur et de s’immiscer dans leurs affaires particulières. Lorsque les Turks manifestaient la velléité d’une pareille ingérence, ils tombaient sur eux et les maltraitaient sans pitié. Toutes