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sur toute la famille. La richesse de chacun était évaluée, et par suite la considération lui était accordée, uniquement d’après le nombre des serfs.

Ce n’est pas tout ; le mal produit par les déchiremens intérieurs dont je viens de dérouler le triste tableau était encore aggravé par d’autres influences, non moins funestes, venues du dehors. Dans cette catégorie, il faut placer en première ligne les tentatives des soi-disant amis des Tcherkesses, accourus sous prétexte de leur prêter assistance, mais en réalité dans l’intention de créer des embarras à la Russie et de la combattre sur cet autre terrain. La Turquie, en cédant par le traité d’Andrinople la côte orientale de la Mer-Noire, avait conservé sans doute quelques regrets et des arrière-pensées, si l’on en juge par sa conduite ultérieure. Cette côte n’avait pour elle aucune importance stratégique ou navale, mais elle était le grand entrepôt où les marchands d’esclaves venaient s’approvisionner des beautés destinées à peupler les harems ottomans, et les croisières russes gênaient singulièrement ce trafic de chair humaine.

A en croire M. de Fadeief, ce mauvais vouloir et les prétentions in petto de la Porte se trahirent plus d’une fois par des manœuvres sourdes, mais suffisamment caractérisées. Tout en reconnaissant officiellement les Tcherkesses comme sujets russes, on tenait vis-à-vis d’eux un tout autre langage ; les autorités turques les invitaient à recourir à elles, comme à un pouvoir légal, chargé de les protéger ; chaque pacha investi du gouvernement de l’une des provinces maritimes voisines du Caucase se croyait indispensablement obligé, en venant prendre possession de son poste, d’adresser aux montagnards une proclamation conçue dans le même esprit ; des émissaires parcouraient dans tous les sens la province du Kouban et y faisaient une active propagande, tandis que des steamers ottomans déposaient sur le rivage des soldats de fortune (avantouristy) recrutés à Constantinople dans tous les partis hostiles à la Russie. L’opinion publique en Angleterre encourageait ces agressions clandestines à l’aide de souscriptions recueillies partout et concentrées à Londres ; des munitions de guerre, poudre, armes, canons rayés, étaient expédiées aux Circassiens avec la connivence et sous la protection, des Turks. J’ai rapporté, en les résumant, ces accusations de M. de Fadeief, parce qu’elles nous révèlent la série de griefs que son gouvernement tient en réserve pour quelque éventualité désirée ou prévue ; je lui en laisse la responsabilité, même lorsqu’il semble les justifier par des faits positifs. Il cite, par exemple, le débarquement opéré à Touapse en 1861, qui jeta sur ce point de la côte tcherkesse un assortiment d’uniformes, des munitions