Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/944

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

opportune du corps même du délit : la Floride fut coulée dans son mouillage, et le cabinet de Washington put sans embarras envoyer au cabinet de Rio-Janeiro ses excuses et ses regrets.

Il y a dans cette affaire deux questions distinctes : celle de la légalité et celle de la justice. Les Américains éclairés avouent eux-mêmes qu’il n’était pas plus légal de s’emparer de la Floride dans le port de Bahia que de saisir à bord du Trent les envoyés des rebelles. J’admets encore que les procédés de l’agression, la complicité du consul, enfin cette façon peu fière de sortir d’embarras en invoquant le deus ex machina d’un naufrage, ne font pas grand honneur aux États-Unis ; mais ici doivent s’arrêter les reproches.

Il a plu aux gouvernemens d’Europe, et à quelques gouvernemens d’Amérique à leur exemple, de reconnaître l’autonomie des rebelles comme belligérans : ils avaient leurs raisons ; mais, aux yeux du gouvernement des États-Unis, les confédérés ne peuvent pas être un peuple à qui l’on fait la guerre suivant les règles du droit des gens : ce sont des rebelles et des traîtres poursuivis par la loi. La saisie d’un de leurs navires n’est point un acte de piraterie, c’est au contraire un acte de justice. Le Brésil, dont on a violé la neutralité, a certainement le droit de se plaindre ; mais quand l’Angleterre feint de vouloir relever le défi au nom de la justice outragée, elle devrait avoir devant les yeux sa propre conduite. Ce qu’elle reproche aux États-Unis, elle l’a fait cent fois peut-être dans le cours des cent dernières années. Un homme d’état versé dans l’histoire maritime et diplomatique, mêlé lui-même à la direction des affaires étrangères, a fait le recueil des nombreux actes de violence que la force de l’Angleterre a revêtus de l’apparence du droit. Et aujourd’hui encore, sous le couvert de sa neutralité, n’est-ce pas elle qui fournit des vaisseaux et des armes aux pirates rebelles ? La Floride a été construite, armée, équipée dans un port anglais : elle n’a jamais jeté l’ancre dans un port confédéré. Il y a deux mois, cinq cent mille Anglais insultaient les Américains par une adresse publique, sous prétexte de leur prêcher la concorde ; un peu plus tard, ils organisaient des souscriptions, des ventes au profit des confédérés, cette foire de Liverpool qui avait pour but déclaré le soutien de la rébellion. Aujourd’hui ils demandent qu’on leur permette d’envoyer leurs agens porter des consolations et des aumônes, et qui sait ? fomenter peut-être la révolte parmi les prisonniers rebelles ; En vérité, la mesure est comble, et ces Anglais, que révolte si fort l’orgueil des Américains, devraient se souvenir qu’en fait d’arrogance ils sont leurs aînés et leurs maîtres.


14 décembre.

L’autre jour je rencontrai le juge R…, qui me dit : « Partez-vous