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question présidentielle. — Peu nous importe, disaient-ils, que Lincoln ou Mac-Clellan soit élu. Mieux vaut même Lincoln, avec qui nous pouvons compter sur la guerre à outrance et n’avons pas à craindre la honte d’une paix servile. — En revanche le vice-président Stephens écrivait la veille de l’élection une lettre singulière, où il exposait avec une franchise inaccoutumée les raisons qu’il avait de souhaiter que Mac-Clellan fût élu. La neutralité des nations européennes était, disait-il, due à leur infatuation ridicule sur la question de l’esclavage. Que Mac-Clellan fût élu président des États-Unis et leur offrît l’union avec l’esclavage, aussitôt les puissances de l’Europe, dégagées de leur respect humain incommode, s’empresseraient de les reconnaître et de leur prêter appui.

Quel patriote sincère peut reculer maintenant ? Quel Américain dévoué à son pays peut renoncer à l’abolition de l’esclavage, quand, de l’aveu même de l’ennemi, c’est la puissance de cette idée qui fait la force du nord et lui vaut le respect de l’Europe ? Veut-on savoir le secret des progrès rapides de l’opinion abolitioniste, on n’a qu’à écouter les gens du sud. Depuis quatre ans, tous leurs actes, toutes leurs paroles tendent au succès de la doctrine même qu’ils combattent. Je comprends M. Wendell Phillips et ces hommes d’une idée, lorsqu’ils souhaitent que le parti Davis l’emporte à Richmond sur le parti Brown, et que la confédération reste aux mains des plus implacables : les extrêmes die l’esclavage donnent la main, sans le savoir, aux extrêmes de l’abolition…..

Les nouvelles d’Europe nous apportent les échos de la colère suscitée dans la presse anglaise par la capture, déjà ancienne, du corsaire confédéré la Floride, le même qui vient d’être coulé par un transport fédéral au moment où il mouillait dans la rade de Hampton-Roads. Le 6 octobre 186û, le capitaine Collins, commandant le vaisseau Wachusetts, se concerta avec M. Wilson, consul des États-Unis, pour saisir la Floride à main armée dans les eaux neutres du port brésilien de Bahia. Le peuple furieux aurait, dit-on, tué le consul sans la protection du gouvernement brésilien, qui n’en a pas moins demandé réparation de l’outrage. Le gouvernement fédéral l’aurait bien accordée ; mais l’arrogance nationale, comme jadis dans l’affaire du Trent, se révoltait contre toute raison. La presse flétrissait d’avance les humbles démarches qu’on n’avait pas faites ; les copperheads insinuaient, non sans une joie secrète, que la perte de la Floride pouvait bien tourner en définitive à l’avantage des confédérés. Il était bien difficile à M. Seward d’offrir autre chose au Brésil que des excuses verbales : au point où en étaient les choses, la restitution de la prise aux confédérés était devenue humiliante et impossible. C’est alors qu’une merveilleuse intervention de la Providence coupa court au différend par la destruction