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13 décembre.

La constitution des États-Unis, qui livre tous les quatre ans la présidence à la compétition des partis, n’a pas voulu que tous les pouvoirs fussent renouvelés à la fois. Elle a prolongé la durée de l’ancienne présidence et celle de l’ancien congrès pour les six mois qui suivent l’élection. Ainsi l’ancienne administration est soutenue, durant sa demi-année de grâce, par une représentation nationale élue sous son règne. Cette disposition conservatrice peut quelquefois être un retard et un embarras. Lorsque l’élection a confirmé les pouvoirs du président, tout en se prononçant pour une politique plus décidée que celle des années dernières, il peut être embarrassé d’avoir affaire à un corps imbu des préjugés de la veille, et qui, malgré la leçon des événemens, peut encore opposer une longue résistance à des réformes devenues inévitables.

Telle est, en ce moment, la position du président Lincoln devant le congrès. Depuis deux ans, le congrès lui a donné raison sur tous les points, sauf un seul, et cette docilité, devenue proverbiale, exaspérait les démocrates ; mais la question indécise est la question fondamentale de la politique actuelle, celle de l’abolition de l’esclavage. Le congrès a sanctionné toutes les mesures de guerre à la majorité simple ; mais la majorité des deux tiers a toujours manqué pour que la proclamation du président qui émancipait les esclaves des rebelles devînt un amendement constitutionnel abolissant l’esclavage. Il est certain d’avance que le prochain congrès le votera tout d’une voix, Le congrès actuel le devancera-t-il ? se laissera-t-il entraîner par le courant de l’opinion ? C’est la question posée dans le message présidentiel, et dont la session qui s’ouvre va méditer la réponse.

Jamais d’ailleurs congrès ne s’est assemblé dans une paix plus profonde. Les vaincus du 8 novembre s’y font remarquer par leur bonne grâce et leur résignation. M. Pendlelon, l’ex-candidat à la vice-présidence, qui a vu sa propre circonscription se retourner contre lui, a fait, dit-on, le plus chaleureux accueil à Thadœus Stevens, le leader du parti républicain dans la chambre. Le président, tout le premier, donne l’exemple d’une modération généreuse. « Je n’accuse pas, dit-il, ceux qui m’ont combattu, je suis convaincu qu’ils ont agi selon leur conscience. » Il conseille le respect aux vainqueurs comme la soumission aux vaincus. Rien ne troublera bientôt le calme des assemblées que les harangues ordinaires de l’incorrigible sénateur Davis, du Kentucky, demandant avec une héroïque persévérance la paix et la sécession.

Une proposition financière a pourtant failli mettre en feu la chambre des représentans. M. Thadœus Stevens, de Pensylvanie, a découvert un moyen de donner au papier-monnaie la valeur de