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une forte unité, une hiérarchie puissante et un gouvernement pour ainsi dire aristocratique ; mais les catholiques américains sont les premiers à bénir ce régime de liberté protestante auquel ils font la guerre : ils vous diront qu’ici seulement, et à la faveur de la liberté américaine, ils ont pu fonder ces associations puissantes et exercer ces influences politiques qui ailleurs seraient regardées comme un danger public. Entre catholiques et protestans, il y a des antipathies ; il n’y a point de haines profondes, parce que personne n’a de privilèges et que tout le monde respire également le grand air de la liberté. Quant aux presbytériens, épiscopaliens, unitairiens et autres, malgré leurs profondes diversités de doctrines, ils se ressemblent tous. Si parfois une dispute s’élève entre deux des communions protestantes, c’est bien plus une rivalité d’influences locales qu’une querelle de religions. Les sectes s’injurient, se déchirent, s’accusent mutuellement d’hérésie damnable et d’erreur diabolique. Qu’importe au grand public ? Il les laisse se dévorer entre elles pour ne s’attacher qu’au christianisme général qui ressort de leurs enseignemens. Plus elles se divisent et plus la foule se lasse de leurs rivalités stériles, plus le sentiment d’une large unité religieuse grandit dans le cœur de la nation. Rien de plus fréquent en Amérique que de voir des laïques prendre la place du ministre du culte et réciter les prières consacrées, commenter eux-mêmes l’écriture à leurs voisins et à leurs amis. J’ai vu dans les grandes villes ce qui, je crois, ne se voit nulle part, des assemblées religieuses ouvertes à toutes les communions chrétiennes, où « tous sont invités » à venir prier en commun. La moitié des Américains ne tiennent sérieusement à aucune secte, ils ne croient pas qu’on doive embrasser une communion plutôt qu’une autre, on peut même à la rigueur ne faire partie d’aucune église : il suffit qu’on soit chrétien ; mais n’allez pas plus loin, ou vous n’êtes plus qu’un fou, un être immoral et dangereux. Voilà, ce me semble, la mesure générale de la foi religieuse aux États-Unis : le christianisme est une loi, le choix d’une église n’est qu’une affaire de préférence individuelle. Demandez à un Américain quelle est sa religion, il ne vous dira pas : « Je suis méthodiste, baptiste, anglican ; » il vous dira : « J’entends le révérend M. un tel. » Si le révérend l’exploite ou l’ennuie, s’il est mécontent du dernier sermon, il cherche un autre pasteur ou lit lui-même les livres saints à sa manière.

Comment peut-il s’arrêter en chemin ? Comment du libre examen ne passe-t-il pas à la négation ? C’est le secret des Américains. Les hommes de cette race ont l’esprit aussi conservateur qu’indépendant. Ils admettent volontiers sans les discuter certaines autorités établies et certains faits enracinés. Sans doute ils sont raisonneurs, mais ils ne sont pas spéculatifs : ils ont peur des vastes espaces et