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où il est dit que Dieu nourrit ses saints comme les oiseaux du ciel et les habille comme les lis des champs. S’il y a dans la forme du marché une certaine brutalité mercantile, au moins n’y entre-t-il pas d’hypocrisie, ni de supercherie sacrilège. Ce qui nous choque si fort paraît tout simple aux Américains. Ils ne croient pas la dignité du pasteur humiliée devant ses fidèles pour recevoir immédiatement de leurs mains le salaire qu’il a mérité ; mais ils la croiraient gravement compromise, s’il avait à mendier les faveurs d’un ministre ou d’un chef de bureau : affaire d’usage et de convention !

Vous vous demandez peut-être pourquoi je vous parle si rarement de la religion ? Pour une raison bien simple : c’est que, malgré la multitude des églises, il est fort peu question de religion en Amérique. On ne s’y occupe ni des concordats, ni du pouvoir temporel, ni de la sempiternelle controverse des rapports de l’église et de l’état. La question n’est pas, comme chez nous, pendante ; elle est résolue depuis longtemps, à la grande commodité de tous, dans le sens d’une absolue liberté. Chez nous, les partisans mêmes de cette solution radicale n’entendent rien à la pratique de la liberté qu’ils préconisent. Ils font de la liberté religieuse un droit à part, un privilège de la conscience humaine, autour duquel il s’agit d’élever une barrière immobile. Ils refusent à la politique toute influence sur la religion, à la religion toute influence sur la politique ; c’est la condition de son indépendance. On veut bien que ses ministres soient libres dans l’enceinte de leurs églises et de leurs sacristies ; mais, s’ils tentent jamais d’en sortir, nos libéraux sont les premiers à crier à l’usurpation. La religion et la politique doivent vivre côte à côte sans se rencontrer jamais.

Ce n’est pas ainsi que les Américains entendent la liberté religieuse. Ils pensent qu’on ne peut séparer la religion des choses humaines sans la condamner, pour ainsi dire, à s’éteindre dans le vide. Leur idéal religieux n’est pas un cloître, une nécropole où les âmes aillent mourir d’avance ; c’est une école de morale agissante associée à tous les intérêts de la vie. Leur liberté religieuse a pour abri, non pas un privilège particulier, mais l’ensemble des libertés publiques. Ils ouvrent une église comme ils publient un journal, ils fondent une religion comme une association politique, toutes choses également permises au nom d’un même principe. Aussi écoutez le prédicateur dans sa chaire, il ne se borne pas à développer un lieu commun de morale ni à tourner sur place dans le labyrinthe de la doctrine ; il entre de plain-pied dans la vie pratique. Il prêche sur les devoirs du citoyen, sur l’esclavage, sur l’élection présidentielle ; il fait de la chaire une vraie tribune, et parfois même du soin des âmes un vrai gouvernement. Les populations catholiques surtout, pour la plupart ignorantes et crédules,