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sur le pouvoir judiciaire, pour s’en défendre, et le fait est que ce pouvoir joue aux États-Unis un rôle modérateur, qui semble à peine compatible avec l’esprit de la démocratie. Il faut remonter à nos anciens parlemens et supposer incontestées leurs prérogatives pour comprendre la puissance de ce veto de la cour suprême et de ces interprétations souveraines (sans être pourtant législatives), qui dictent au président les ordres de la loi ; mais si pendant plusieurs présidences le courant politique porte le pays uniformément du même côté, la cour suprême elle-même sera envahie et entraînée. M. Chase ne vient-il pas d’être nommé chief-justice en remplacement du juge Taney, de sudiste mémoire, à cause de ses opinions radicales, et les journaux républicains n’ont-ils pas dit que ce choix était nécessaire pour obtenir de la cour des mesures sévères contre les rebelles ? Il est à craindre que le pouvoir judiciaire ne devienne un jour l’appendice docile du pouvoir politique.

Le remède, à mon avis, n’est pas dans l’unité : il est au contraire dans une plus grande division locale. Ce n’est pas l’Union qui est trop faible, ce sont les états qui sont trop puissans.


11 décembre.

C’est aujourd’hui dimanche, jour lugubre dans la vieille colonie puritaine. On raconte qu’un étranger, abordant un dimanche à Boston et voyant l’air désolé de la ville, demanda si l’on ne pleurait pas quelque grande calamité publique. Les rues sont désertes, les maisons silencieuses, les portes fermées. Toute la ville semble gelée avec ses habitans. À l’heure du prêche, les familles défilent en silence, la tête basse, habillées de noir, comme une procession d’enterrement. Cependant les églises sonnent les offices en volées lentes et tristes comme un glas funèbre. — Ce matin, obéissant à leur appel, j’allai à l’église presbytérienne entendre un prédicateur en renom. J’entrai dans une grande salle carrée avec des tribunes, de larges bancs où se prélassait à l’aise un public clair-semé. On chantait des hymnes. Bientôt le ministre, un monsieur à grandes moustaches et vêtu comme vous et moi, ouvre devant lui un gros cahier, et, moitié lisant, moitié déclamant de mémoire, nous débite un sermon fleuri. J’ai rarement vu chez nos prédicateurs parisiens si affectés plus de vaine rhétorique et de préciosité. Le tonnerre, les vagues, les tempêtes, tout le fatras des métaphores banales retentissait à chaque phrase, et pour ainsi dire battait la mesure de chaque période. Rien n’était moins édifiant ni moins solennel. La manière du parleur, qui peut-être aurait pris quelque gravité sous la robe et sous les ornemens sacerdotaux, n’était que ridicule dans son habit étriqué. La pompe extérieure peut quelquefois servir de