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compagnie des membres du collège électoral de Massachusetts, chez leur président, M. Everett. C’était une réunion officielle des plus graves et des plus cérémonieuses, bien que tous les convives n’eussent pas d’habit noir. On prononça des discours, on porta des toasts peut-être un peu gourmés ; un révérend clergyman improvisa avant et après le repas, sous forme de bénédiction et de grâces, deux prières patriotiques les yeux au ciel, tandis que les convives avaient les yeux baissés. Enfin on se dispersa de bonne heure, et j’allai finir ma soirée au club.

Les opérations du collège électoral ne sont d’ailleurs qu’une pure formalité. Les électeurs ne sont plus, comme autrefois, nommés par district ; ils sont nommés en masse et par liste, dans l’état tout entier. Tandis qu’ils s’appellent encore les uns électeurs at large, représentans de l’état, les autres électeurs de telle ou telle circonscription locale, ils sont tous nommés de la même façon. Cette réforme ou plutôt cette révolution s’est opérée insensiblement par l’usage. Certains états qui n’ont jamais voulu nommer autrement leurs électeurs exerçaient une influence disproportionnée avec leur importance véritable. Tandis que les autres, en se divisant, neutralisaient souvent leur propre vote, ceux-ci jetaient tout leur poids d’un seul côté et restaient maîtres de l’élection. L’équité voulait un régime uniforme. Tous les états se mirent donc à voter en bloc, avec l’unité démocratique des républiques anciennes, ou du peuple français nommant un empereur. La conséquence est d’annuler dans chaque état l’influence des minorités.

Vous comprenez combien ce système a été utile à la sécession. Dans les états rebelles, la loi de la majorité était devenue si puissante qu’on put ne tenir aucun compte de la minorité unioniste qui voulait rester soumise au gouvernement des États-Unis. On n’était plus citoyen des États-Unis, on était citoyen du Massachusetts ou de la Virginie. Le gouvernement de l’Union était une proie dont les états s’emparaient à tour de rôle, un instrument de domination pour les plus forts, ligués entre eux pour opprimer les faibles. Sans rien perdre nominalement de ses attributions souveraines, l’autorité fédérale était réduite à l’impuissance par le pouvoir excessif des majorités locales. C’est ce dont on commence à voir l’inconvénient ; mais peut-on remonter la pente naturelle de la démocratie ? Il serait plus aisé de renverser du coup toutes les barrières pour confondre dix millions d’électeurs dans un vote unique et universel. Cette solution radicale aurait pour elle l’esprit des temps, et il n’est pas impossible qu’elle s’offre un jour ou l’autre au congrès. L’unité administrative en serait, il faut le dire, la conséquence naturelle. L’Amérique verrait s’ouvrir une ère nouvelle de centralisation progressive qui pourrait être fatale à sa liberté. Elle compte