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sur une ottomane, lut et laissa pour ainsi dire tomber à demi-voix de ses lèvres un long entretien physiologico-mystique sur les effets moraux de l’opium et du haschisch, dans un style tout pénétré de leurs languissantes vertus ; cette autre vint lire une ode et des poésies légères. Le public garda jusqu’au bout son décorum imperturbable : il ne témoignait sa satisfaction que par ces fins sourires et ces applaudissemens discrets que mesure une politesse exercée à l’observation des convenances. On ne s’émancipa qu’après la séance, en passant dans la salle où le souper était servi : alors les libres causeries, le cliquetis des verres, les éclats de voix joyeuses, tout ce tumulte inattendu ressemblait à l’explosion bruyante d’une bande d’écoliers échappés. Tout d’un coup on fit silence : un des invités prit un air tragique et débita une parade, inter pocula, cette fois parmi les rires sonores et les applaudissemens prolongés. La scène se passait dans une cour de justice, et l’acteur imitait, me dit-on, un célèbre avocat de la ville avec tous les hurlemens, trépignemens, convulsions et cabrioles que j’ai moi-même admirés souvent chez les orateurs populaires. C’était le dessert de la fête, et le menu de ce festin littéraire me rappelait un peu ces dîners chinois où l’on commence par les sucreries, les bonbons parfumés, pour finir par là grosse viande et les ragoûts poivrés…..

C’est aujourd’hui, 8 décembre, que les collèges électoraux des divers états se réunissent dans leurs capitales pour nommer le président des États-Unis, et que l’élection d’Abraham Lincoln va devenir un fait officiel. En même temps le président adressera son message au congrès. Malgré les bruits qui ont couru d’un changement de politique, le peuple américain ne témoigne rien de l’anxiété fébrile avec laquelle nous avons coutume d’attendre le discours de la couronne à l’ouverture des chambres. Les institutions vraiment démocratiques ont ce résultat, que le peuple choisit non pas seulement un homme, mais une politique et une doctrine. C’est sur la plate-forme républicaine que M. Lincoln est élu président des États-Unis, c’est sur la plate-forme républicaine qu’il doit faire la paix ou la guerre. Quant aux paroles qu’il va prononcer, elles ne doivent pas tomber comme un coup de tonnerre sortant du image obscur de la majesté exécutive, elles doivent simplement formuler la politique qui une fois de plus a reçu l’assentiment national.


9 décembre.

Hier encore il m’a fallu prendre ma pitance quotidienne d’établissemens charitables ou philanthropiques, jurant bien cette fois qu’on ne m’y reprendrait plus. Enfin, après une journée de flânerie parmi les prisonniers, les enfans, les vieux pauvres, j’ai dîné, en