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mar, commencent à se relâcher cependant de la rigueur du wahabitisme. Avec un certain sourire de dérision, ils disent que les autres sujets de l’émir du Nedjd se soumettent à une foule de prescriptions qui ont été reconnues inutiles, ou du moins considérablement modifiées par les Shammar, à qui leurs voyages continuels dans l’Irak[1], dans le Hedjaz et en Égypte, leurs relations avec les étrangers qui visitent leur pays pour se rendre à La Mecque, donnent une plus grande liberté d’opinions. Ainsi par exemple le tabac est toléré, et l’usage en devient plus général. Il y a deux points toutefois de la doctrine wahabite auxquels les Shammar sont inaltérablement attachés. Le premier, c’est le rejet de tous les saints même de Mahomet, comme médiateurs entre Dieu et l’homme. En effet, dans leurs conquêtes, les Shammar s’appliquent toujours à imposer cette croyance aux vaincus. Le second point essentiel à leurs yeux est la nécessité de dire la prière quotidienne en public dans une mosquée, et non pas à la maison, comme le pratiquent les autres musulmans. Aussi chaque quartier dans les villages est-il généralement pourvu d’une petite mosquée où le peuple s’assemble cinq fois par jour pour faire les dévotions en commun aux heures prescrites. A Hail, il y a en outre, dans le palais même du cheik, une grande mosquée où toute la population se réunit le vendredi pour réciter la prière et écouter un sermon. Le cheik tient à ce que tout le monde vienne à ce service du vendredi le prédécesseur du cheik actuel, le fameux Abd-Allah, a plusieurs fois infligé des punitions sévères à ceux qui n’y assistaient pas. Dans la grande mosquée d’Hail, la prière est récitée par un prêtre que le cheik nomme et paie. Ce personnage a reçu ordinairement, soit au Caire, soit à Médine, soit à Ryad, une certaine instruction; qui consiste principalement à savoir réciter par cœur une partie du Coran et à connaître les minutieuses cérémonies du rituel. Il doit aussi être versé dans la controverse entre les wahabites et les autres sectes il est avec le cadi le seul représentant de la science; mais ni l’un ni l’autre ne savent rien en dehors de leur spécialité, et M. Wallin n’en a pu tirer aucun parti pour ses études historiques et grammaticales.

Le fait suivant, raconté par le même voyageur, donnera une idée exacte de l’état politique et social de cette partie de l’Arabie. Le 30 août 1845, il partait d’El-Djôf en compagnie d’une famille bédouine appartenant à une petite tribu du voisinage nommée les Hawazi. « Ces Bédouins, dit-il, sont pauvres et méprisés, exposés aux attaques et

  1. Il y a deux Irak : l’Irak adjemi ou la Perse, et l’Irak arabe, qui est le pays arrosé par le cours inférieur de l’Euphrate et du Tigre.