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vous n’y verrez que des noms médiocres. Vous n’y trouverez ni Clay, ni Webster, ni ce Douglas tant surfait qui a pourtant laissé dans le monde politique une impression profonde, ni M. Everett lui-même, dont c’était pourtant l’ambition. Son éloquence, qui est grande, n’est pas du genre qui convient à la multitude. Ses belles harangues, composées d’avance et toujours écrites, sont limées, polies, ornées de longue main. Il me semble le voir (bien que je ne lui aie jamais entendu dire que quelques paroles banales) déroulant ses périodes avec un plaisir d’artiste applaudi, tantôt avec un débit pressé, rapide, entraînant, quoique harmonieux et mesuré, tantôt s’arrêtant sur les pensées graves, — enfin avec un geste de courtoisie gracieuse et un demi-salut distribuant ses remercîmens à ses auditeurs charmés. Pas un mot, pas une intonation, pas un geste qui ne soit étudié. Il reste de M. Everett la même impression que des prédicateurs célèbres : quel admirable parleur ! mais il ne m’a point converti.

Combien différente est l’éloquence de M. Wendell Phillips ! Je viens de l’entendre dans un grand meeting que, suivant la coutume du pays, il avait convoqué à Music-Hall pour dire son avis « sur la situation. » Celui-là n’est pas un littérateur raffiné ; il ne parle pas pour imprimer. Il parle à tout le monde et partout : quand on l’appelle, il est toujours prêt. Il dit lui-même de ses discours : « Ce ne sont que des entretiens. » Il vise au but, non pas à l’effet. Il me disait l’autre jour, comme il revenait d’une tournée oratoire qu’il avait faite dans le Maine : « Nous autres, hommes d’action et de propagande, notre métier est non pas de faire de beaux morceaux, mais de convaincre et d’émouvoir ceux qui nous écoutent. » Il a l’éloquence effective, élevée quand sa pensée s’élève, simple quand il rencontre des idées communes, et toujours au niveau de l’auditoire auquel il s’adresse. Sa manière calme, mais énergique et passionnée, des traits d’esprit fins et mordans décochés de place en place, ici de la causerie familière, là des mouvemens de grande éloquence, et surtout cette parfaite sérénité qui se joint en lui à la conviction, du bien, en font un des parleurs les plus attachans et les plus extraordinaires que j’aie jamais entendus. Voilà le grand orateur de l’Amérique. Je sais que M. Phillips est un révolutionnaire, un fanatique, un agitateur, un radical, l’incarnation même du radicalisme. C’est un de ces penseurs qui se tiennent en dehors de la pratique des affaires, qui peut-être seraient incapables de gouverner eux-mêmes leur pays, et à qui du reste leur nature en interdit l’ambition ; c’est, comme disent les Anglais, un excentrique, un de ces hommes absolus et passionnés dont le rôle est de stimuler sans cesse la conscience endormie des peuples. « Une idée ! s’écriait-il tout à l’heure, une seule idée !