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de bure et leurs sarraux de grosse toile grise. On les traite à la fois avec une extrême sollicitude et une rigoureuse sévérité. Dans le Massachusetts, on classe parmi les délits graves, non-seulement le vagabondage, mais encore la fornication et l’ivrognerie. La vieille austérité puritaine a laissé sa trace dans les lois. — On me parle aussi d’une maison de correction ou reform school pour les très jeunes filles, où elles sont hébergées et moralisées dans des familles privées ; mais cette école est située à vingt milles de Boston, et je n’ai pas le temps d’aller si loin pour la visiter.


7 décembre.

Je ne vous ai pas encore parlé de M. Everett. L’autre jour, je me présente chez lui : un vieillard vêtu de noir, de taille moyenne, les reins un peu courbés, se lève de son fauteuil, et vient au-devant de moi avec les manières simples et courtoises d’un parfait gentleman. L’appartement où il me reçoit est une de ces grandes libraries anglaises qui servent à la fois de salon et de cabinet d’étude. Il y a quarante ans que M. Everett n’a été en France, et pourtant il parle le français avec une correction parfaite. J’étais désireux naturellement de sortir des banalités d’usage, de percer jusqu’à son esprit, de lui parler de son pays et du mien, de sonder un peu ses opinions, de me découvrir avec lui des sympathies et des idées communes ; mais à une politesse pleine de bienveillance et de cordialité M. Everett joint une réserve diplomatique dont il n’est pas facile de venir à bout. Au lieu de me répondre, il m’a exhibé des livres qu’on lui avait envoyés pour la vente de la Sailor’s fair, entreprise à la fois charitable et patriotique dont il s’est beaucoup occupé dans ces derniers temps. Il m’a montré des photographies, des eaux-fortes récemment arrivées de Paris. Ce n’est pas là précisément ce que j’attendais ; mais il semble saturé de politique et désireux d’y songer le moins possible en dehors de la vie publique. Ce n’est point non plus un de ces esprits actifs et curieux qui expriment le suc de tous les esprits qu’ils rencontrent, et se font étaler avidement la pacotille d’idées et de renseignements qu’apporte toujours un voyageur étranger. Il me disait qu’il avait presque oublié et perdu de vue les affaires d’Europe. Il avait un peu l’air d’un homme qui se promène à loisir dans un beau jardin, et qui n’aime pas qu’on jette des pierres inconnues dans ses avenues sablées. Telle est souvent la disposition des littérateurs de profession, et l’on s’aperçoit bientôt que par nature et par éducation M. Everett est avant tout un scholar, un lettré. Il appartient à ce genre académique qui ne trouve pas sa place en Amérique, et qui est forcé de s’y déguiser sous l’habit du politique ou la cravate du clergyman. Du temps où le costume ecclésiastique était à la mode, et où tant