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immobile et inaccessible aux affaires humaines. Mise au sommet de la pyramide, au-dessus de toutes les législations locales qui correspondent aux divers degrés de la justice, ce n’est pas une idole impuissante à qui l’on rend de vains hommages, c’est une autorité souveraine qui exige qu’on lui obéisse. Elle s’élève au-dessus des autres lois par son caractère d’universalité, par le rôle de médiatrice qu’elle joue entre toutes ; elle a son instrument dans la cour suprême des États-Unis. Ce n’est pas tout ; la constitution n’est pas seulement le recours suprême, la ressource lointaine qu’on invoque en dernier ressort ; c’est un principe établi dans le droit américain qu’elle est toujours présente, et qu’elle peut être invoquée, même dans les tribunaux inférieurs. Il ne faut pas croire, par exemple, que le juge de l’état de Massachusetts n’obéisse qu’à la loi du Massachusetts : il est tenu d’obéir tout d’abord à la loi et à la constitution des États-Unis. La constitution, en un mot, est une loi pratique, une loi active, au lieu d’être un recueil de préceptes stériles. Les principes généraux qu’elle énonce sont au service et à la portée de tous.

Ainsi le pouvoir judiciaire intervient chaque jour dans les affaires publiques. Quand un citoyen croit avoir à se plaindre d’un abus de pouvoir, il dénonce, non pas le gouvernement lui-même, mais le fonctionnaire qui le représente, et que la loi a rendu personnellement responsable de tous ses actes. Nous croyons avoir fait merveille en faisant de la machine administrative un être impersonnel et indivisible, en revêtant d’une sorte d’inviolabilité le fonctionnaire qui en fait partie. Les Américains au contraire n’ont pas voulu que le pouvoir fût dans les mains d’agens insaisissables et certains de l’impunité ; ils ont pensé qu’il serait dangereux de laisser remonter jusqu’au gouvernement lui-même la responsabilité des abus commis en son nom. Tout fonctionnaire, lorsqu’il entre en charge, sait qu’il répond devant la justice ordinaire de la bonne exécution des lois : on l’oblige même à verser dans la caisse de l’état un cautionnement qui garantit le paiement des dommages auxquels il peut être condamné. Partout nous retrouvons ce pouvoir judiciaire qui est le vrai contrôle, le vrai contre-poids, le rouage indispensable de la démocratie.

C’est là surtout la différence des institutions américaines et des nôtres. Chez nous, le pouvoir judiciaire est une grande machine administrative, disciplinée comme un régiment ; on aurait beau autoriser la poursuite du fonctionnaire coupable devant la justice du pays : que pourrait la voix d’un citoyen isolé, revendiquant l’application d’une loi qui est une lettre morte ? Quand nous voulons être libres, nous mettons la main sur les chefs du pouvoir exécutif ; nous les assujettissons à nos volontés par une responsabilité