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teurs visitent ces localités. Ils y reviennent chaque année une fois, deux fois, échangent leurs marchandises contre des dattes, de la laine, du beurre et d’autres produits du désert. Ils se familiarisent par degrés avec les usages et les manières des Bédouins, choisissent une femme parmi les fraîches filles du désert, et finissent par s’établir définitivement dans le village nouvellement construit. »

Abd-Allah et son fils Talal-ibn-Raschid ont fait de grandes conquêtes depuis la retraite des Égyptiens. Au nord, ils se sont annexé l’oasis d’El-Djôf (sur quelques cartes, El-Gawf) et les villages environnans. Dans le désert de Syrie, ils ont soumis les Anezi-Bischr, qui, d’après le croquis joint au récit de M. Guarmani, ne sont distans de la Mer-Morte que de trente à quarante heures de chameau. Telles sont les possessions du Djebel-Shammar dans le nord; elles ont pris également beaucoup d’extension à l’ouest par la soumission de Teimé et de beaucoup d’autres villages, de sorte qu’aujourd’hui elles enveloppent complétement le Hedjaz au nord. La soumission de la tribu des Bely a presque amené le territoire des Ibn-Raschid jusqu’à la Mer-Rouge, entre Moïlah et Jambo. M. Wallin raconte que les Bely, quoique peu nombreux, étaient une tribu riche, possédant beaucoup de chevaux et de bétail jusqu’en 1847, époque à laquelle ces Arabes furent surpris et pillés par une autre tribu. Ils avaient assez bien réussi à se dédommager de ce désastre sur leurs voisins; mais ils craignaient les envahissemens du cheik du Djebel-Shammar, Abd-Allah-ibn-Raschid. C’est alors qu’ils s’agrégèrent à l’espèce de confédération dont il était chef en payant volontairement le tribut appelé zikâ, qui est une espèce de contribution pie, recommandée par le Coran. Les conditions auxquelles a été faite cette demi-soumission caractérisent nettement l’état politique de cette partie de l’Arabie. La participation des Bely à la confédération ne leur donne droit à aucune protection de la part du cheik contre les tribus ennemies, et ne leur impose aucune contrainte dans leurs transactions avec les autres Bédouins, soit de la confédération, soit étrangers. Les Bely, de leur côté, continuent à lever un tribut sur le village de Teimé, bien que cette localité, comme nous l’ayons indiqué, relève aussi du cheik du Djebel-Shammar. Les Bely perçoivent également une contribution sur la ville d’Elâ, qui, bien qu’appartenant leur tribu, est sous la protection du pacha turc de Médine, à qui elle paie le zikâ. Remarquons cette variété de conditions, cet enchaînement de redevances, cet enchevêtrement qui fait que tel chef est à la fois vassal et seigneur, cette limitation dans les droits du supérieur comme dans les obligations de l’inférieur, le tout reposant sur la tradition ou les contrats, et nullement sur une idée préconçue ou une théorie quel-