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niveau. L’Atlantic club est une petite académie fermée aux profanes, où l’on n’est admis qu’au double titre du mérite littéraire et de l’amitié. Il y règne, avec un air de distinction extrême, un ton de cordialité simple et de douce camaraderie. On y est à cent lieues du tumulte mercantile de New-York…

Je suis allé passer mon dimanche à la campagne, dans un de ces villages du Massachusetts où l’on ne rencontre pas un seul paysan. Rien de plus propre, de plus paisible, de plus champêtre que ces grosses bourgades de la banlieue qu’on pourrait presque appeler des villes. L’aisance qui y règne fait plaisir à voir. Cependant le sol est pauvre, et se compose de collines granitiques inégales, couvertes de pins maigres et de genévriers grisonnans. Entre ces petites éminences, il y a des prairies entourées de murailles en pierres sèches et de petits chalets servant d’étables. Partout la pierre nue perce la terre osseuse. Dans le lointain, la mer s’étend en longues bandes argentées parmi de brumeux promontoires, et se contourne en mille replis, formant comme un archipel d’îles et de lacs intérieurs. La rade de Boston, sa presqu’île, ses navires, ferment si bien la vue, qu’on ne croit pas être au bord de l’Océan. Ce paysage a une grâce maigre et fluette, avec une grande douceur et une tranquille mélancolie. Il rappelle par le contraste ces grasses vallées de l’ouest avec leurs fleuves limoneux et féconds, leurs bords enrichis des dépouilles de mille générations végétales, leurs dômes de feuillages obscurs élevés sur les hautes colonnes des forêts. Quelle différence entre ces deux natures ! Et cependant la richesse est partout sur ces côtes malingres, et les exubérantes forêts de l’Indiana n’abritent que de pauvres cabanes de troncs d’arbres cimentés avec la boue des rivières. Quel magicien est-ce donc que l’homme, qui crée tant avec si peu !


20 novembre.

J’ai fait deux connaissances nouvelles : celle de M. Wendell Philipps, le célèbre orateur abolitioniste, et celle de M. Quincy, petit-fils d’un homme célèbre dans l’histoire d’Amérique, lui-même un des chefs du parti de l’abolition. Tous deux ont voulu me faire les honneurs de leur ville natale. M. Quincy, homme distingué, d’une expression fine, un peu dédaigneuse, causeur agréable, est connu à Boston pour sa scholarship et sa science des antiquités. Il m’a montré tous les petits souvenirs historiques de la colonie, depuis l’habit que portait Franklin lorsqu’il signa l’alliance française et les épaulettes de Washington jusqu’à l’emplacement de la vieille maison, aujourd’hui détruite, où naquit Franklin, jusqu’au champ de bataille de Bunker-Hill et à l’obélisque de granit élevé à la place