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leurs costumes graves ; on va au prêche écouter un sermon politique, car si les affaires humaines envahissent la chaire aux jours que la religion consacre, elles en sont maîtresses en ce jour de jubilé national. Dans chaque paroisse, dans chaque temple, s’élève une tribune politique où l’on discute ici la guerre, là l’esclavage, là-bas la constitution, mais où tout roule sur la grande question du jour. Les prédicateurs républicains s’inspirent de la proclamation du président ; les démocrates prennent pour texte celle du gouverneur Seymour, qui s’unit aux prières publiques avec des paroles à double sens. On prie pour la confusion des méchans, pour le retour de la justice, pour le salut de la patrie, et chacun est libre d’entendre à sa façon la justice et le patriotisme. Cependant la vie et le mouvement continuent ; on ne se croit pas obligé, comme le dimanche, de prendre un air de deuil. Les jardins publics, les rues populeuses offrent un spectacle à la fois tranquille et animé. C’est un vrai jour de fête, où l’on ose lever la tête et parler tout haut, où l’on se repose de l’activité affairée de la semaine sans s’imposer le recueillement sépulcral du septième jour.

Rien de nouveau d’ailleurs, et absence de journaux ce matin. Ce soir, le bruit court que les trois états de Géorgie, d’Alabama et de Mississipi sont prêts à traiter pour la conservation de l’esclavage, menacé plus dangereusement aujourd’hui par Jefferson Davis que par Lincoln. Pris entre deux feux, les pauvres esclavagistes ne savent à quel diable se vouer. Si la nouvelle est vraie, c’en est fait de la rébellion.

Cette question de l’enrôlement des noirs met la confédération sens dessus dessous. Il y a dans le sud un parti raisonnable qui recule devant les mesures héroïques ; ce parti, accusé bien des fois de pencher vers la trahison, renouvelait récemment ses promesses de fidélité à une cause perdue, mais avec une arrière-pensée d’abandon. Son chef est, vous le savez, le gouverneur Brown, de la Géorgie, l’adversaire et presque l’ennemi personnel de Jefferson Davis, le même qu’on disait avoir engagé avec le général Sherman ces négociations que le bruit public l’a obligé à démentir. Bien qu’il tienne en face du nord un langage haut et ferme, bien qu’il ait lui-même signé la résolution qui livre au président tout pouvoir sur les esclaves des états de Virginie, des Carolines, de Géorgie, d’Alabama et de Mississipi, on le sait secrètement opposé à une mesure qui serait sa propre ruine. À la question même de l’esclavage se mêle l’antagonisme ancien de la Géorgie et de sa rivale. À l’origine de la rébellion, quand les conventions de la Caroline du Sud et de la Géorgie prononcèrent les fameuses ordonnances de sécession, la Virginie hésitait encore à les suivre. Bientôt elle a pris la conduite de la