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en Afrique pour parer à des guerres étrangères. Il n’en était pas d’elle comme de la France, qui dans son armée d’Algérie voit toujours le vrai noyau prêt à combattre, rompu à la vie du bivouac, et qui lui emprunte ses vaillantes avant-gardes pour toutes les campagnes voisines ou éloignées de sa frontière, aujourd’hui au Mexique, hier en Italie, naguère en Crimée ; — et pourtant, même tandis que la guerre de Grimée lui enlevait ses plus vieilles troupes, l’armée d’Algérie, si affaiblie qu’elle fût, allait en 1854 promener le drapeau français au milieu des Kabyles insoumis, découvrir les horizons inconnus des cimes djurdjuriennes, et, par une reconnaissance militaire pleine d’audace, préparer trois ans d’avance le succès de la victoire décisive. Quand enfin 1857 fit sonner l’heure suprême de la conquête, en moins de deux mois tout le Djurdjura était parcouru et soumis, une grande route pénétrait la montagne, un fort puissant s’asseyait sur ces crêtes devant lesquelles jadis, après une campagne de trois ans, le comte Théodose avait reculé. Maximien-Hercule transportait dans le Sahara des fractions de tribus kabyles vaincues : la France a rendu les Kabyles, après leur défaite, presque plus libres qu’à la veille de leur soumission, en leur ouvrant l’accès de toute l’Algérie et les poussant à se bâtir sur leur propre sol des villages nouveaux. Théodose laissait massacrer les prisonniers kabyles : l’armée française, en pleine lutte, prêtait ses médecins aux blessés ou aux malades du Djurdjura. Rome pressurait d’impôts ses sujets d’Afrique : la France a imposé faiblement la Kabylie conquise pour lui donner le temps de réparer les maux de la guerre, et avant de songer à y augmenter les impôts, elle a déjà plus de dix fois accru la richesse matérielle du pays ! Mais nous avons ailleurs[1] essayé de développer la politique qui depuis huit ans fait la force et le succès de la France en Kabylie. Qu’il nous suffise d’ajouter qu’une circonstance récente, la présence de l’empereur dans le Djurdjura, le 24 mai 1865, est venue apporter à cette politique une heureuse consécration, et a fait croire aux Kabyles qu’il était écrit sans doute que la journée du 24 mai deviendrait pour eux un anniversaire doublement marqué par des événemens qui portent date. C’est le 24 mai 1857 que les colonnes françaises s’élançaient pour la première fois sur les contre-forts des Aït-Iraten à travers des populations toutes ennemies, toutes acharnées et frémissantes : c’était la guerre, la guerre avec sa grandeur et ses tristesses, ses nobles luttes et ses fureurs ; c’était la guerre avec ses bruits enivrans et sinistres, le tableau héroïque de plusieurs milliers d’hommes courant à l’envi vers la mort, les uns pour la défense du sol natal, les autres pour la

  1. Revue du 15 avril 1865.