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voix pour supplier le Tout-Puissant de ne point permettre qu’elle fût injustement privée des bras énergiques qui l’avaient fécondée. Dieu écouta ce vœu, et les protégés de la Terre continuèrent à vivre et à prospérer dans la montagne. »

Voilà donc au mot transtulisti une singulière confirmation ; seulement la tradition kabyle refuse de l’appliquer aux tribus du Djurdjura. Ce n’est là, il est vrai, qu’une légende ; mais l’auteur qui glorifie Maximien d’avoir transporté les plus fiers montagnards de Mauritanie n’est, à le bien prendre, qu’un panégyriste. Qui a raison ? Si courte qu’elle soit, la citation d’Eutrope offre une indication précieuse : « les Quinquegentiens infestaient l’Afrique. » La même phrase se lit dans la chronique d’Eusèbe, traduite par saint Jérôme, et Pomponius Lætus la complète en disant que les Quinquegentiens étaient « ce peuple de soldats qui ravageaient l’Afrique et rêvaient d’en devenir les maîtres[1]. » Ils avaient donc pris l’offensive en envahissant les possessions romaines, et c’est sur le territoire provincial qu’on avait d’abord à les combattre. A défaut de tout détail spécial sur la marche de Maximien, il est au moins logique de la déduire de celle qu’ont suivie les généraux romains dans les deux seules guerres analogues dont les auteurs nous aient développé les phases : — l’une, que nous avons résumée déjà, contre Tacfarinas ; — l’autre, que nous aurons à raconter, contre le Quinquegentien Firmus. Ces deux guerres mettent en relief un principe constant : les proconsuls ont redouté sans cesse de s’engager dans la montagne ; leur tactique a été de manœuvrer le plus possible dans les vallées. Maximien aura donc vu une chance heureuse à rencontrer les montagnards répandus hors de leurs défenses naturelles. Saisissant avec vigueur l’occasion de les attaquer, il les aura battus, pressés, contraints à la paix assez à temps pour éviter le risque de les poursuivre dans leurs dernières retraites. La mesure de transportation n’en trouve pas moins sa place. Seulement, pour qu’elle prenne un caractère vraisemblable, il la faut borner aux prisonniers ou à quelques fractions quinquegentiennes offrant, comme

  1. Histoire abrégée de Rome, liv. II, ch. 2. — En discutant cette citation de Pomponius Lætus, le savant archéologue Scaliger (le jeune), dans ses Observations sur la Chronique d’Eusèbe, prétend que le mot Quinquegentiani est la traduction latine du mot grec ΙΙενταπολϊται, habitans de la Pentapole cyrénéenne (l’état de Tripoli actuel.) L’expédition de Maximien aurait donc été dirigée contre les Africains de la Pentapole, c’est-à-dire des cinq cités de Cyrène, Bérénice, Arsinoé, Apollonic et Ptolémaïs, et non contre le Djurdjura. Néanmoins, en présence de la description que fait du pays des Quinquegentiens le panégyriste de Maximien-Hercule, l’opinion de Scaliger ne paraît pas un instant soutenable. D’ailleurs nous trouvons le mot grec de ΙΙενταπολϊται, traduit dans Pline (Hist. nat., liv. V, ch. 5) par l’adjectif Pentapolitani, et en revanche l’historien grec Zouaras a, dans ses Annales (liv. XX, ch. 31), traduit le mot latin de Quinquegentiani par celui de ΙΙεντεγεντίανοι.