Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/877

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

légions en campagne. Ce n’était pas un capitaine ordinaire que ce Numide, car Tacite nous le montre donnant tout d’abord pour cadres à ses guerriers ceux qui s’étaient exercés, comme lui, dans les rangs des Romains, et retenant chaque fois qu’il le peut ses troupes dans des camps, afin de les former au commandement et à la discipline. Point de vaine témérité ni de prétention à se mesurer en rase campagne avec les légions : ses premiers essais se bornent à quelques incursions vives et soudaines ; bientôt ce sont des attaques et pillages de bourgades, puis des surprises répétées, des coups de main vigoureux, des embuscades hardies. S’il réussit une fois, dans une lutte de front, à faire fuir une cohorte romaine tout entière, il sent vite que là n’est pas la vraie guerre qui lui convient ; ce qu’il lui faut à lui, c’est d’attaquer et de fuir tour à tour, de diviser ses forces pour harceler sans trêve son ennemi, de se jouer de ses manœuvres, et, même battu, de fatiguer son vainqueur en poursuites infructueuses.

À cette tactique, les temps n’ont rien changé. Aujourd’hui pour nos Kabyles, comme jadis pour Tacfarinas, fuir n’est pas une honte, c’est une manœuvre ; combattre en bandes détachées, harceler et surprendre l’ennemi, c’est encore un trait fidèle de la race, et quand, de son côté, le général romain Blæsus, trouvant périlleux de s’aventurer avec des légions dans les retraites montagneuses des indigènes, commençait par en bloquer les abords, laissait hiverner ses cohortes dans des camps retranchés presque aux portes de l’ennemi, songeait enfin à scinder ses troupes, à l’instar de Tacfarinas, en petits corps destinés à surveiller partout les projets du Numide et à tomber sur ses flancs ou ses derrières par des mouvemens tournans, Blæsus ne faisait qu’inaugurer la méthode de guerre que devaient suivre, dix-huit siècles plus tard, nos généraux dans les mêmes luttes. Et cependant trois proconsuls, Camille, Apronius et Blæsus, eurent beau obtenir successivement les honneurs du triomphe comme vainqueurs de Tacfarinas, « trois statues couronnées de lauriers s’élevaient dans Rome, dit Tacite ; mais le Numide n’en continuait pas moins de mettre l’Afrique au pillage. » Il osait signifier à l’empereur Tibère « d’avoir à céder de bonne grâce un vaste territoire aux rebelles, sans quoi l’Afrique serait désolée par une guerre interminable, » et il parcourait le pays promenant le drapeau national, grossissant ses forces, annonçant partout le prochain renversement de la puissance romaine.

Il fallut la mort du grand agitateur pour clore cette lutte sanglante. Les Romains avaient construit, au temps d’Auguste, sur la rive gauche de l’Oued-Sahel, à sept lieues du littoral, une forteresse dite Tubuscum oppidum ou Tubusuptus, dont les traces monumentales se reconnaissent dans les ruines actuelles de Tikla. Le