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quand le sultan de Bougie leur réclame l’impôt, ils se révoltent, étant bien sûrs de n’avoir rien à craindre dans leurs montagnes. » Ibn-Khaldoun énumère alors douze tribus qu’il désigne comme les tribus zouaviennes les plus marquantes, et c’est chose curieuse de constater, en les lisant, que les noms des tribus qui habitaient le Djurdjura au XIVe siècle se sont intégralement conservés de nos jours.

Aux époques byzantine et vandale il n’y a pas lieu de s’arrêter ; les populations djurdjuriennes semblent complètement ignorées des historiens du temps : rien sur elles ni dans Procope, qui accompagnait Bélisaire en Afrique, ni dans le poète Corippus, qui chantait, au VIe siècle, les exploits de Jean Troglita. « L’Aurès, écrit Procope[1], est la plus grande montagne que nous connaissions, » — et il ajoute : — « Nous ne communiquons que par mer de la province de Zaba (province de Constantine) avec la ville de Césarée (Cherchel, à l’ouest d’Alger), ne pouvant nous y rendre par terre, car les Maures demeurent maîtres de tout le pays qui nous en sépare. » C’est assez dire que les généraux byzantins ne connurent et ne tentèrent même pas de connaître le Djurdjura. Quant aux Vandales, « tous cavaliers, suivant Procope, ne sachant pas combattre à pied, ni tirer de l’arc, ni lancer le javelot, les pentes abruptes et escarpées de l’Aurès les empêchèrent d’y porter la guerre. » Comment le massif djurdjurien, plus formidable encore et plus éloigné de Carthage, centre de leur domination, ne fût-il pas resté à l’abri de leurs attaques ?

Mons-Ferratus, le mont bardé de fer : c’est de ce nom symbolique que les Romains appellent le Djurdjura, comme le témoignent l’histoire d’Ammien Marcellin et la carte de Peutinger[2]. Le territoire auquel la carte de Ptolémée donne pour limites la mer, le fleuve Serbetes et la rivière Nasaoua, forme un triangle qui répond à notre Grande-Kabylie. Le Serbetes représente l’Isser, la Nasaoua l’Oued-Sahel, et Ptolémée fait descendre avec raison ces deux cours d’eau du Byren Mons, qui occupe la position du Dira actuel. Nababes et Quinquegentiens, voilà les noms des peuples qui habitaient cette contrée. Les Nababes sont placés par la carte peutingérienne au sein même du Djurdjura ; c’est également le territoire que la Cosmographie d’Éthicus assigne aux Quinquegentiens entre les villes de Salde (Bougie) et de Rusuccuru (Dellys). Qu’un même peuple ait répondu à ces deux dénominations différentes,

  1. L’Aurès est un pâté de montagnes dans la province de Constantine, d’un relief moins considérable que le Djurdjura, qui fait partie de la province d’Alger.
  2. La carte de l’empire romain à laquelle Peutinger, savant antiquaire du XVe siècle, a donné son nom remonte, suivant Mannert, au règne d’Alexandre-Sévère. Il est reçu plus généralement qu’elle date du règne de Théodose le Grand.