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« Je n’ai point à m’occuper des opinions qu’il prêche, » répondit gravement le juge. Et comme il fut prouvé que le défendeur n’avait point troublé la circulation sur la voie publique, son acquittement fut aussitôt prononcé. Ce respect pour les droits de la parole n’est-il point après tout le fondement de la constitution anglaise ?

Les dissidens ou non-conformistes forment, on le voit, les protestans du protestantisme. Tous s’élèvent plus ou moins contre le principe d’autorité en matière de foi. L’église anglicane s’alarme assez peu, il faut le dire, de cette opposition des sectes ; n’a-t-elle point de son côté les lumières, la fortune et la sanction de l’état ? Il y a pourtant des Anglais qui regrettent amèrement un tel ordre de choses et qui voudraient à tout prix ramener l’unité dans les croyances. Je crois qu’ils ont tort, et que cette dissension dont ils se plaignent est au contraire chez eux la sauvegarde des libertés religieuses. Il existe d’ailleurs plus d’un lien entre les diverses sectes nées des accroissemens de la réformation. N’ont-elles point fondé de concert, il y a quelques années, l’université de Londres ? n’ont-elles point conclu, sous le nom d’alliance évangélique, une sorte de pacte qui tend à les rapprocher toutes dans un sentiment de tolérance mutuelle et de charité ? Une partie de l’église établie (low church) s’est elle-même ralliée à ce mouvement. Et que craindrait-elle en effet de l’action commune avec les autres églises dissidentes ? Cette division, dont on fait tant de bruit, est bien plus dans les formes que dans les doctrines. Un fait essentiel est que la part de liberté laissée par le protestantisme à la raison humaine suffit dans tous les cas pour ne point gêner les progrès de la science ni les développemens de l’industrie.

J’étais monté un dimanche matin sur les hauteurs qui dominent la ville de Swansea, plongée ce jour-là dans le repos et le silence. Deux sortes d’édifices seulement donnaient signe de vie : de hautes cheminées surmontant les fonderies laissaient échapper de noirs serpens de fumée dont le vent dénouait les anneaux, et qu’il chassait l’un après l’autre dans la même direction au-dessus des toits recouverts de tuiles, tandis que de la flèche des églises s’élevait un bruit de cloches. Le travail et la prière, voilà tout ce qui surnageait dans l’air de cette ville, étendue au bord de la mer retentissante. Ne pouvait-on y voir une image de la civilisation anglaise ? La religion et l’industrie, ces deux puissances qui, dans quelques pays catholiques, se regardent encore avec une défiance jalouse, ont vécu ici depuis longtemps en parfaite harmonie, et de cette alliance on a vu sortir d’un côté, dans certaines limites, la liberté de l’esprit, — de l’autre la conquête de la matière.


ALPHONSE ESQUIROS.