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de chevaux. Je ne serais pas éloigné de croire que le tribut ait été alors et depuis offert sous cette forme; c’est du moins ce qui résulterait des indications que l’on trouve recueillies dans un voyage exécuté en 1864 par M. Guarmani au nord du Nedjd[1]. On doit, dit ce voyageur, considérer l’émir comme un prince souverain, bien qu’il envoie chaque année pour le sultan quelques jumens que le grand-chérif de La Mecque expédie plus loin. M. Guarmani ajoute que le chef du Nedjd a le droit régalien de vie et de mort sur ses sujets, et qu’il ne connaît pas d’autre loi que la loi bédouine. Le nom du sultan des Turcs n’est pas prononcé dans la prière publique.

Les Nedjdli, nous l’avons déjà indiqué, sont restés ce qu’ils étaient au VIIe siècle de notre ère. Ayant peu de rapports avec les étrangers, ils n’ont ni avancé ni reculé. M. Gilford Palgrave, qui a résidé dans le Nedjd en 1863[2], s’imaginait quelquefois qu’il vivait au temps de Mahomet et de ses compagnons. Le wahabitisme y est strictement observé. Ainsi il est défendu sévèrement de fumer et de porter des habits de soie. Tout ce qu’on peut concevoir de plus horrible et de plus honteux n’est rien en comparaison de l’usage du tabac. M. Palgrave demanda un jour à un homme du pays quels sont les plus grands péchés. « Le plus grand péché, répondit le wahabite, est le polythéisme ou l’adoration de quelque autre chose que Dieu. » Il ajouta sans la moindre hésitation que l’usage du tabac est le péché le plus irrémissible après le polythéisme. « Mais l’assassinat, le vol, le faux témoignage? Oh! répondit l’Arabe, Dieu est miséricordieux, ce sont là de petits péchés. Les seuls péchés mortels sont le polythéisme et l’usage du tabac. » Dans l’El-Aflaj, une des provinces du Nedjd, c’est un acte méritoire de tuer les fumeurs, ou, comme on dit par euphonie, « ceux qui boivent la chose honteuse. »

Vers 1856, le choléra éclata dans le Nedjd. Ce qu’on vit alors se passer donnera une idée des sentimens de la population et du despotisme religieux exercé par le gouvernement. Nous empruntons ce récit caractéristique à M. Palgrave. L’émir était dans la plus grande anxiété; mais, considérant que l’épidémie provenait de ce que le pur et primitif islamisme n’était plus observé, il crut comprendre ce qu’il fallait faire pour arrêter les progrès du choléra. Il appela les hommes les plus graves, les plus religieux de la ville, et leur dit :

  1. Voyez le Zeitschrift für allgemeine Erdkunde (Berlin 1865), où M. G. Rosen résume ce voyage.
  2. La relation de M. Palgrave a été publiée d’abord dans les Proceedings et dans le Journal de la Société géographique de Londres pour l’année 1864. Elle vient de paraitre plus complète en deux volumes intitulés : Narrative of a year’s Journey through central eastern Arabia.