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perpétuer certains privilèges, mais c’est aussi défendre beaucoup de droits et de libertés politiques. Cet esprit général de l’église n’engage d’ailleurs nullement les opinions particulières de ses ministres. Lorsque les états du nord de l’Amérique poursuivaient contre les états du sud cette lutte héroïque dont le contre-coup fit courir un frémissement dans les veines de la vieille Europe, quelques clergymen anglais se déclarèrent hautement contre l’esclavage et firent des vœux publics pour le triomphe de la cause fédérale. Parmi les libéraux du clergé britannique, je pourrais citer le docteur Hook[1], doyen de Chichester, et bien d’autres qui prêtent volontiers la main aux réformes exigées par l’état présent de la société. Au moment où la candidature de M. Stuart Mill était peut-être menacée à Londres par d’injustes soupçons d’athéisme, c’est de l’université d’Oxford, un des centres de l’orthodoxie, que s’élevèrent des voix éloquentes pour défendre les opinions religieuses de l’illustre penseur contre les attaques du Record[2]. Un seul fait pourrait donner un démenti au libéralisme éclairé du clergé : c’est la dernière élection de cette même université d’Oxford. Et pourtant, si je suis bien informé, la candidature de M. Gladstone n’aurait point échoué devant les votes des savans professeurs attachés à l’institution ; elle aurait eu pour adversaires victorieux les membres agrégés, qui, disséminés sur toute l’Angleterre, occupent pour la plupart certains bénéfices dans les campagnes. Ces derniers, plus accessibles aux préjugés de naissance et aux influences locales de l’aristocratie, se défient aussi plus que les autres des entraînemens du siècle. Il est bien vrai d’ailleurs que les principes des tories cherchent à s’appuyer sur l’église comme sur un des piliers de l’état. Quelques clergymen reprochent même à M. Disraeli d’écarter d’une main trop hardie les voiles du temple, laissant ainsi entrevoir dans la religion un moyen de gouvernement. N’est-ce point compromettre ce qu’on voudrait servir ? Contre cette confusion des rôles et des pouvoirs s’est dernièrement élevé en Angleterre un parti connu sous le nom de liberation society. Les chefs de cette école, et parmi eux il en est d’éminens, voudraient au contraire relâcher les liens qui unissent l’ordre civil à l’ordre religieux. Il est difficile de prévoir le sort que l’avenir réserve à de telles tentatives, mais dès aujourd’hui la véritable autorité de l’église anglicane repose sur la foi et non sur la loi : aussi longtemps qu’elle aura pour

  1. Auteur d’un excellent pamphlet intitulé On the means of rendering more efficient the éducation of the people (Moyens de rendre plus efficace l’éducation du peuple), qui attira l’attention publique par la hardiesse des vues et l’indépendance du talent.
  2. Organe de l’église basse, de même que le Guardian est le journal de l’église haute, et le Non-Conformist celui des sectes dissidentes.