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trouvé le remède au mal. Les mesures de restriction peuvent créer l’hypocrisie, mais assurent-elles la foi ? Qu’on écoute par exemple la confession publique de certains clergymen qui combattent ce même dogme de l’éternité des peines. « Ils y ont cru, vous diront-ils, pendant un temps ; mais un jour ils ont secoué comme malgré eux le rêve hideux de leur jeunesse, le cauchemar d’un Dieu impitoyable, et le monde s’est alors éclairé pour eux d’une lumière nouvelle, d’un rayon d’amour qui leur a fait découvrir jusque dans la punition des méchans les traits célestes de la bonté. » L’église anglicane est atteinte, il le faut bien reconnaître, de la maladie du siècle, et cela jusque sur les hauteurs (oriens ex alto). Qu’on n’en conclue pas d’ailleurs que le sentiment religieux se soit affaibli dans la Grande-Bretagne. Où trouver au contraire un clergé plus attaché à ses devoirs, une nation plus croyante ? Et comment cela peut-il se faire ? Les religions qui comptent le moins d’incrédules sont celles qui imposent aussi le moins de sacrifices à la raison et à la liberté de conscience : là est sans doute la réponse à l’apparente contradiction que nous venons de signaler.

Le clergé anglais tenant de très près à l’état, il importe de rechercher le genre d’influence qu’il y exerce[1]. Il faut pour cela tenir compte des origines mêmes de la réformation. De tous les obstacles qui s’opposent chez un peuple à l’établissement des libertés politiques, le plus grave et le plus difficile à renverser est l’asservissement de l’esprit sous certains dogmes religieux. Dans la révolution morale du XVIe siècle, à laquelle le clergé britannique prit une si grande part, les docteurs se proposaient surtout d’émanciper le sentiment du moi. Tous les droits s’engendrent les uns des autres, et qui doute aujourd’hui que le respect de la liberté individuelle ne soit chez nos voisins d’outre-mer une conquête du protestantisme ? Le même principe de curiosité qui avait mis à nu les fondemens de la foi appela les lumières de l’examen et de la discussion sur les bases du gouvernement civil. On découvrit bientôt que les racines du despotisme se cachaient dans une sorte d’ignorance sacrée, mais ne reposaient sur aucune autorité divine. C’est ainsi que la constitution anglaise a pu s’allier sans peine à l’ordre religieux, qui la consacre sans la gêner ni la contredire. Le clergé anglais pris en masse est conservateur ; mais il ne faut point attacher à (Je mot le sens étroit qu’on lui donne dans d’autres pays. Protéger les institutions de la Grande-Bretagne, c’est sans doute

  1. Il s’agit, qu’on l’entende bien, d’une influence indirecte. Les clergymen ne peuvent siéger à la chambre des communes. Jusqu’au mois de février 1865, ils ne pouvaient même faire partie du barreau.