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ques les docteurs dont les opinions leur semblent flotter au-delà des limites de l’orthodoxie. Qu’on y prenne garde, cette indépendance des signes intérieurs et du culte public qui distingue plus ou moins les low churchmen ne représente pas toujours une grande liberté morale. Leur esprit ne s’affranchit souvent de l’autorité des formulaires que pour s’asservir lui-même à la lettre d’un livre ou à un dogme affreux comme celui de la prédestination.

Entre ces deux partis s’en est formé un troisième qui, sous le nom de broad church (large église), s’attache surtout à la manière d’envisager les Écritures. Les diverses fractions du clergé anglican croient à l’inspiration de la Bible ; mais que doit-on entendre par ces deux mots ? Les uns veulent que ce livre ait été écrit aussi bien que dicté par une influence surnaturelle : les auteurs hébreux n’auraient été dans ce cas-là que les véhicules passifs de mots et d’idées qui ne leur appartenaient point, la trompette dans laquelle soufflait l’esprit de Dieu. D’autres (et c’est sur ce terrain que se pose l’église large) regardent les Écritures comme le fruit d’une inspiration divine enregistrée par des procédés humains (humanly recorded). Or admettre la part de l’homme n’est-ce point aussi admettre la part de l’erreur ? Ce nom de broad church fut donné pour la première fois par la Revue d’Edimbourg à un parti clérical dont le fondateur paraît avoir été en Angleterre le célèbre docteur Arnold. Les chefs de cette école sont aujourd’hui les docteurs Milman et Stanley, doyens l’un de Londres et l’autre de Westminster.

Un tel mouvement a été de beaucoup dépassé par quelques récentes publications. Voyons pourtant ce que disent pour leur défense ceux qui adhèrent de près ou de loin à la libre interprétation des Écritures. « Il est un livre que tous les philosophes eux-mêmes ont admiré, sur lequel repose non-seulement notre église, mais encore une grande partie de l’édifice social en Angleterre. Prenez garde, le jour où cette base s’ébranlerait, c’est l’ordre religieux tout entier et même une partie des institutions civiles qui tomberaient en ruine. Or comment ne s’ébranlerait-elle point, minée qu’elle est de jour en jour par le progrès des sciences et par la critique historique ? Le plus mauvais service que vous puissiez rendre en pareil cas au livre que vous prétendez défendre est de le placer sur le terrain de l’infaillibilité. La découverte de la moindre erreur géologique, chronologique ou topographique, détruira cette foi dans l’inspiration divine que vous vous efforcez de prendre à la lettre. Il faut ou soutenir que la science se trompe, ou accuser le soleil, qui ose être immobile, la terre, qui ose tourner, et dire à toute la nature : Tu as menti ! Soyez plus sages : faites la part du déluge, abandonnez à l’erreur ce qui appartient à l’erreur, et sau-