Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/836

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vert d’un sac et présentant le dos, en toute humilité, aux lanières des moines. Derrière le chœur s’éleva au contraire, plus tard, la fameuse châsse renfermant les reliques du martyr. Les dalles qui l’entouraient sont marquées et fouillées par les genoux des pèlerins. Le nom même du Christ avait disparu de l’édifice ; on ne l’appelait plus que l’église de Saint-Thomas de Canterbury, et c’est lui qui était vraiment le dieu du temple. La vérité est que Thomas Becket représentait, au moyen âge, la grande lutte entre le pouvoir ecclésiastique et le pouvoir civil. Aussi sa mémoire est-elle aujourd’hui même en Angleterre une sorte de drapeau qu’agitent en sens contraire deux partis encore vivans et acharnés l’un contre l’autre. Ceux qu’on accuse d’aspirer à la suprématie de l’ordre spirituel défendent généralement Thomas Becket comme un des leurs, tandis que les adversaires des anciens privilèges du clergé personnifient dans cet archevêque de Canterbury les injustes prétentions d’une église qui devait tomber tôt ou tard devant le progrès des lumières.

Au nord de la cathédrale s’élève la maison du chapitre, chapter house, joli bâtiment érigé par le prieur Chillenden vers l’an 1400 et s’ouvrant sur les cloîtres. Le chapitre se compose d’un doyen et de chanoines qui forment le conseil de l’archevêque et l’assistent de leurs avis soit en matière de religion, soit même dans les affaires temporelles. Le doyen[1] était autrefois élu par les chanoines ; en est-il de même aujourd’hui ? Il existe en Angleterre deux sortes de chapitres, les anciens et les nouveaux. Les anciens sont ceux qui ont été fondés avant la réformation ; les nouveaux, ceux qui ont été établis par Henri VIII à l’époque de la dissolution des ordres religieux, et qu’il arracha aux mains des abbés ou des prieurs pour les convertir en un pouvoir séculier. Il y a de même deux manières de créer des doyens. Dans les cathédrales d’ancienne fondation, le souverain envoie, en cas de vacance, un congé d’élire, dans lequel il désigne la personne de son choix ; le chapitre approuve, et l’évêque confirme. Dans les diocèses au contraire remaniés par Henri VIII, tels que celui de Canterbury, ce semblant d’élection n’existe même point ; le roi ou la reine se contente de nommer directement le doyen par lettres patentes. On voit par là quel échec ont subi à l’époque de la réformation les privilèges du clergé, et combien est grande l’autorité qu’exerce l’état sur les affaires religieuses : si le gouvernement n’était en Angleterre l’organe de l’opinion publique, cette influence pourrait aisément dégénérer en autocratie. Le doyen

  1. En anglais dean, du mot latin decanus, sans doute parce qu’à l’origine les doyens étaient institués pour surveiller dix chanoines ou prébendiers.