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qui vinrent coloniser l’Angleterre sous le règne de Claude, et dont plusieurs étaient chrétiens. Tout annonce pourtant qu’une partie au moins de l’église a été rebâtie au commencement du XIIe siècle avec les matériaux d’une chapelle beaucoup plus ancienne. Les murs extérieurs, quoique recrépis et consolidés dans ces derniers temps, laissent entrevoir de distance en distance des tuiles romaines mises à nu par la chute du ciment. Bédée raconte que quand Augustin, le grand apôtre de l’Angleterre, arriva vers 597 à Canterbury, il y trouva deux anciennes églises chrétiennes, l’une comprise dans les murs de la ville et située à l’est, l’autre s’élevant à une courte distance des remparts. De ces deux églises, la première a été convertie en ce qu’on appelle aujourd’hui la cathédrale ; la seconde est, on a tout lieu de le croire, celle de Saint-Martin.

Ce qu’on ignore généralement, c’est que l’Angleterre était sous la domination saxonne une sorte de contrée nourricière qui approvisionnait d’esclaves blancs tous les marchés du sud de l’Europe, à peu près comme le Kentucky fournissait naguère des nègres aux états voisins qui convoitaient cet article de commerce. Grégoire le Grand, alors simple moine, passant un jour dans les rues de Rome, fut frappé de la beauté de quelques jeunes gens exposés pour la vente, et demanda de quel pays ils venaient. Ayant appris qu’ils étaient Anglo-Saxons, il résolut de faire quelque chose pour leur île[1]. Peu d’années après, il fut élu pape, et en souvenir des pauvres captifs il envoya Augustin ou Austin, avec quarante moines, pour convertir au christianisme les adorateurs de Thor et d’Odin. Les missionnaires débarquèrent à l’île de Thanet et s’avancèrent aussitôt vers Canterbury, la capitale du royaume du Kent, où résidait alors la cour. Ils trouvèrent le terrain tout préparé. Berthe, la femme du roi saxon Ethelbert, était déjà chrétienne, et s’il faut en croire la tradition, même avant l’arrivée des moines, elle venait célébrer les mystères avec les gens de sa suite dans la petite chapelle de Saint-Martin. Aujourd’hui cette église se divise en trois parties distinctes : le porche, qui a été dernièrement. restauré, la nef, à l’entrée de laquelle figure une très ancienne cuve de marbre grisâtre où l’on prétend qu’Ethelbert a été baptisé par Augustin, et enfin un sanctuaire (chancel) à gauche duquel, dans un renfoncement du mur, repose un massif cercueil de pierre qui passe pour contenir les restes de la reine Berthe. Je m’abandonnais à cette poésie des souvenirs répandue sous le clair-obscur de la

  1. On lui prête même un jeu de mots qui est bien dans le goût du temps. « S’ils étaient chrétiens, aurait-il dit, ce ne seraient plus des Angles (Angli), mais des anges (angeli). »