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bourse grasse. » Chaucer et Shakspeare, tels sont les deux patrons littéraires de cette antique cité.

Plus on s’avance dans le cœur de la ville, et plus on s’enfonce pour ainsi dire dans le moyen âge. Des groupes de rues tortueuses, percées d’étroites ruelles et de mystérieux passages, se serrent autour de la cathédrale, La plupart des anciennes maisons, à toit en auvent, à pignon aigu, ont été rajeunies, blanchies à la chaux ; d’autres sont au contraire demeurées dans l’état primitif. Parmi ces dernières, je remarquai surtout dans Palace-street une très vieille maison à pans de mur reliés dans un cadre de bois, avec des fenêtres à mailles de plomb et des figures grotesques servant de supports aux angles des architraves[1]. Ce qui la distingue encore, c’est qu’elle est à l’extérieur toute peuplée d’hirondelles. Ces architectes ailés ont appliqué leur maçonnerie à chaque recoin des étages avançant sur la rue, et pour protéger les nids croulans, qui portent sans doute bonheur à la maison, les habitans ont pris le soin de les étayer avec des planches. La tradition veut que plusieurs de ces masures pittoresques aient autrefois servi d’auberges aux pèlerins qui se succédaient dans la ville de Canterbury. On signale surtout Mercery-Lane comme le siège d’une grande hôtellerie dans laquelle s’arrêtèrent les compagnons de Chaucer en venant du Tabard ; mais cette ruelle a aujourd’hui beaucoup perdu de son caractère. La vie tranquille semble avoir inspiré aux habitans de Canterbury le goût des fleurs. Je me souviens avec plaisir d’une rue étroite dont les fenêtres présentaient une ligne non interrompue de jardins cultivés avec art. Toute cette floraison répandait un air de fraîcheur et de jeunesse sur les antiques murailles. Mais qu’étais-je venu chercher à Canterbury ? Il me fallait surtout visiter les parties de la ville qui retracent l’origine du christianisme en Angleterre et celles qui peuvent donner une idée de. l’état présent de l’église nationale.

En dehors des anciens remparts, et sur le revers d’une colline, s’élève la petite église de Saint-Martin. C’est l’idéal d’une église de campagne anglaise. Elle est entourée d’un joli cimetière dont les tombes blanches et couvertes de fleurs se dressent parmi de noirs arbustes chargés de baies rouges. La tour de Saint-Martin, joyeusement tapissée de lierre, domine un horizon assez étendu, et tout respire dans les lignes simples de l’architecture un air de chaste antiquité. La tradition affirme que cet édifice a été construit par les Romains

  1. Ces grossières sculptures sur bois qu’on rencontre dans beaucoup d’autres parties de la ville représentent le plus souvent un faune accroupi, aux oreilles pointues, aux pieds de bouc et aux seins de femme. Le grand effort qu’il fait pour soutenir les saillies de l’architecture tend hideusement les nerfs du cou.