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les mœurs des musulmans. L’occasion ne tarda pas à s’offrir à lui de manifester pour la première fois la mission qu’il s’attribuait. Les Arabes ont beaucoup de penchant à honorer les saints après leur mort; ils reconnaissent à leurs descendans des privilèges bizarres, et en bien des circonstances le saint de telle tribu lui fait oublier l’Etre suprême. La ville d’Eyanah, dans le Nedjd, professait une sorte de culte pour la mémoire d’un certain Saad. Un jour de marché, un homme qui avait perdu un chameau traversait la foule en suppliant à grands cris Saad de lui rendre sa bête. « Malheureux! cria Abd-ul-Wahab d’une voix tonnante, pourquoi n’invoques-tu pas Dieu plutôt que Saad? » Le lendemain, la ville était en émoi, et un parti wahabite s’était formé. Du reste Abd-ul-Wahab ne formulait pas une nouvelle croyance; il avait seulement la prétention de ramener l’islamisme à sa pureté primitive. Il reconnaissait le Coran comme émanant de l’inspiration divine, mais il rejetait tout ce que les théologiens et les légistes y ont ajouté. Abd-ul-Wahab proclamait que les saints ne peuvent servir d’intermédiaires entre Dieu et l’homme; aucun culte, aucun hommage ne leur est dû, pas plus à Mahomet qu’aux autres; c’est faire acte d’idolâtrie que d’élever des monumens sur leurs tombes. Sous le rapport des mœurs, alors fort relâchées, surtout parmi les pèlerins de La Mecque, la plus grande pureté était prescrite à ses disciples. L’usage de la soie, du café et du tabac leur était sévèrement interdit. L’obligation de combattre les infidèles leur était rappelée et le ciel promis à celui qui succomberait dans la lutte.

Or le peuple qui habite la contrée de l’Arabie appelée Nedjd était particulièrement préparé à reconnaître et à pratiquer cette réforme. Isolé dans le monde musulman, il n’avait pas été mêlé au mouvement théologique et social qui avait altéré ou simplement développé le fond et la forme de l’islamisme primitif. Abd-ul-Wahab trouvait cette population, à peu de chose près, dans l’état où Mahomet l’avait laissée. Il eut le bonheur non moins grand de rencontrer un homme qui se fit l’apôtre extérieur de la réforme. Cet homme se nommait Mohammed-ibn-Saoud; il était le chef héréditaire d’une des premières tribus du pays. Abd-ul-Wahab et Mohammed obtinrent dans le Nedjd un succès complet et rapide; ils se partagèrent l’autorité. Le premier resta le pontife, le second devint le prince. Ils étaient convenus que la même répartition de pouvoirs serait observée entre leurs descendans. Aussi, lorsque Mohammed mourut en 1765, son fils Abd-ul-Aziz lui succéda. Abd-ul-Wahab vécut jusqu’en 1787, et il eut également pour successeur son fils Hussein. Encore aujourd’hui la famille des Ibn-Saoud, descendant de Mohammed, gouverne le Nedjd, tandis qu’une sorte de