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Chili. Les grands griefs du ministre espagnol sont quelques cris poussés contre l’Espagne dans un rassemblement populaire, et des injures contre le gouvernement de Madrid publiées par un journal. En vérité, il faudrait rire d’une susceptibilité si ridicule, alors même qu’elle ne fournirait pas prétexte à un acte de prépotence si abusif. Est-il permis à un gouvernement qui se dit constitutionnel de se montrer si délicat à l’endroit d’une manifestation populaire ou d’une déclamation de journal ? Aucun ministre espagnol ne s’avisera de tirer son grand sabre pour demander compte à la France, à l’Angleterre ou aux États-Unis du langage des journaux de Paris, de Londres ou de New-York sur le compte du gouvernement espagnol. Dans le blocus dénoncé contre le Chili, il y a un étrange abus de puissance de la part du plus fort contre le plus faible. Ce scandale blesse d’ailleurs les intérêts très positifs des commerces français, anglais, américain. L’émotion qu’il a causée parmi les classes commerçantes à Paris et à Londres a dû déjà éclairer M. Bermudez de Castro sur la témérité de sa politique envers le Chili. On doit supposer que les effets de cette intempestive étourderie seront réparés par une médiation anglo-française.

Entre les deux tendances qu’il pouvait suivre dans la reconstruction de l’administration qu’il dirige, lord Russell a fait son choix. Lord Russell pouvait fortifier son ministère de deux façons, en s’adressant ou aux whigs conservateurs ou aux whigs radicaux. C’est aux radicaux qu’il a donné la préférence. Les whigs conservateurs lui offraient deux hommes d’un vrai mérite : l’un, M. Horsman, plus orateur qu’homme d’affaires ; l’autre, M. Robert Lowe, très apte aux diverses fonctions administratives et capable en même temps de prendre une part remarquable aux discussions parlementaires ; mais MM. Lowe et Horsman se sont très énergiquement prononcés contre de nouveaux essais de réforme parlementaire. C’est du côté de la réforme que lord Russell s’est tourné en appelant à des postes secondaires de l’administration qui ne donnent point accès au cabinet M. Goschen et M. Forster. L’accession de M. Forster surtout a une signification réformiste. Peu de jours après avoir accepté la sous-secrétairerie des colonies, M. Forster a harangué ses électeurs de Bradford, et, bien loin de se couvrir des réserves qu’il pouvait tirer de sa nouvelle position officielle, il a plaidé énergiquement la cause de la réforme. Les membres du meeting de Bradford, en présentant une adresse à lord Russell, ont fourni au premier ministre l’occasion d’indiquer sa politique. Lord Russell veut une réforme parlementaire, mais il semble dire que c’est au pays d’en fixer le moment par la manifestation publique de ses vœux. Cette exhortation à l’agitation réformiste sera certainement entendue ; elle ne produira point d’effet, il est vrai, avant la session qui commencera dans deux mois. Il n’y aura point de bill de réforme présenté l’année prochaine ; ce sera aux partisans d’un remaniement de la constitution