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recevant sur tous les points de la route des témoignages d’affection et de reconnaissance. De là, une tournée nouvelle les conduisit dans le centre et dans le nord. Ils virent ces belles provinces, comme les appelle le landgrave, ces provinces où la beauté sévère de la nature accompagne si bien la morale beauté de la race humaine ; ils purent connaître de près la grâce de l’ancien peuple ; un sentiment de vénération pénétra leurs nobles âmes… Mais pourquoi traduire ce que le landgrave exprime lui-même avec tant de candeur et de cordialité ? « Ces provinces, dit-il, et celles de Foden sont les plus belles qu’on puisse voir. C’est un sentiment bien doux quand on apprend à connaître ces familles patriarcales de la Norvège, lorsqu’on entend ces gens avec de longues barbes, souvent blanches, qui vous tutoient, vous bénissent, et parlent avec une sagesse et une bonhomie si respectables. Le cœur se dilate. Je ne connais rien de meilleur que ce peuple des montagnes, ou, pour mieux dire, des lacs. L’habitant des villes et des provinces méridionales (smaalaenderne) touchant à la Suède est bien plus corrompu, mais l’intérieur du pays est la nation la plus respectable du globe. Je ne me permets plus d’y penser. La séparation présente du Danemark m’a pénétré de douleur… »

Le prince Charles écrivait ces lignes plus de quarante ans après son premier voyage chez le doux peuple des lacs. Il s’était attaché à ces braves gens non-seulement par sympathie pour leurs mœurs patriarcales, mais par le bien qu’il leur avait fait. La Norvège est restée longtemps sous l’administration du beau-frère de Christian VII : non pas que le landgrave ait été toujours présent de sa personne dans son gouvernement ; mais alors même que sa destinée l’appelait sur d’autres théâtres, le pays qu’il avait délivré de la misère ne cessait de ressentir sa bienfaisante action. Il avait organisé un conseil où se perpétuait son esprit. On n’y décidait rien sans l’avoir consulté. Au camp de Frédéric, dont il va bientôt être le compagnon d’armes, chez les princes de Hesse, où le rappelleront des devoirs de famille, dans ses voyages de France sous la révolution, bref, en tout lieu, en tout temps, le prince de Hesse restera en communication avec ses chères populations des lacs et des montagnes ; travaillant au bien de tous, il surveillera d’un œil attentif les intérêts de chacun ; il pourra enfin se rendre ce témoignage, où se révèle le justicier autant que le réformateur : « j’ai conservé le commandement de la Norvège jusqu’au moment où ce royaume fut perdu, c’est-à-dire plus de quarante et un ans, et je remercie Dieu de m’avoir si bien gardé pendant cette longue période que jamais je n’ai rendu personne malheureux, ni commis, autant que je sais, une injustice quelconque. Jamais du moins je n’ai reçu ni entendu à ce propos une seule plainte. »