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L’appel du landgrave à un tel poste et dans un tel moment indique assez l’idée qu’on avait de son mérite. C’était un beau début pour un chef de vingt-huit ans. Les circonstances qui accompagnèrent sa nomination en relèvent encore le caractère. « Prenez garde, avait dit un des ministres, M. d’Osten, si vous l’envoyez en Norvège, il s’y fera roi. » Et comme les autres membres du conseil se récriaient, proclamant la loyauté du landgrave : « Après tout, qu’importe ? dit l’amiral Rœmeling, s’il faut que la Norvège nous échappe, mieux vaut qu’elle soit au prince Charles qu’au roi Gustave. » Cette réflexion singulière coupa court au débat, double preuve et de la situation désespérée où se trouvait la Norvège et de la valeur qu’on attribuait au prince Charles.

Personne n’était mieux fait pour détourner de Gustave les sympathies norvégiennes et les ramener au Danemark ; sa loyauté, on le vit bientôt, égalait ses talens. Il y avait une sorte d’affinité entre l’esprit norvégien et le caractère du prince Charles : même gravité, même candeur, même sentiment du juste. Ces vertus patriarcales dont on se souciait si peu dans les conseils de Copenhague, il les admirait à cœur ouvert. Qui l’eût empêché de se faire proclamer roi à Christiania, s’il n’avait été avant tout esclave de sa parole ? Lorsque le prince Charles aborda sur les côtes de Norvège au commencement de l’hiver de 1772, il apprit que l’armée suédoise était à la frontière avec Gustave III, et que déjà plus d’un émissaire avait semé des germes de révolte parmi les troupes norvégiennes. La présence du prince affermit les esprits chancelans, comme sa loyale attitude fit hésiter Gustave. Il y avait là un capitaine suédois nommé Lilienhorn qui jouait un rôle assez équivoque. « Je parlai, dit le landgrave, à ce capitaine Lilienhorn, qui me porta une lettre de son souverain, fort obligeante, où il me disait qu’il faisait son Eriks gatta, et qu’il serait charmé s’il pouvait me rencontrer quelque part. Je dis à Lilienhorn que j’avais toujours été fort attaché au roi, que j’aurais extrêmement désiré de pouvoir me rendre quelque part pour lui faire ma cour, mais que malheureusement je trouvais des circonstances qui devaient faire craindre que la guerre n’allât s’allumer, qu’il ne me restait ainsi que l’espoir de mériter son estime. » Voilà les deux beaux-frères en présence, l’un séduisant et captieux, l’autre simple et intègre. Gustave eut l’air de battre en retraite, sauf à continuer sous main les intrigues commencées.

Comment s’y prit le landgrave pour déjouer les manœuvres du roi de Suède ? Il détruisit coup sur coup les abus qui causaient la misère publique. Les grains purent entrer librement dans les ports de Norvège sans avoir passé par le Danemark ; plus de disette à redouter, plus d’impôts énormes, plus de vexations insolentes. Or,