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Et les diamans d’août et les perles d’avril
S’égrènent lentement dans la fange commune ;
Et l’on se trouve seul, et de ses propres mains
À ses plus purs élans on mutile les ailes,
Pour régler leur essor avec les pas humains ;
Amour, espoir, désirs, adieu les hirondelles !
Et l’on voit, et l’on sait, car on n’a plus la foi,
Et tout en soi languit et meurt autour de soi :
L’amitié, foyer vide où l’on mettait la flamme,
Et l’admiration, autre voleuse d’âme.
Et puis vient la raison, — la première douleur,
Et l’ambition ment, et l’intérêt grimace ;
Hormis le souvenir, l’âme n’a plus de fleur
Où n’ait cent fois bavé l’ennui, cette limace.
Avez-vous vu tomber les feuilles dans les bois ?
Ainsi tombent les jours comme des feuilles d’arbre.
Et les morts ? et les morts ? Hélas ! combien de fois.
S’est-il assis chez vous, le convive de marbre !
Ah ! l’heure sombre ! Hier il était près de vous,
Il vivait, l’être aimé, joyeux, charmant et doux,
Et le voilà, — terrible, échevelé, farouche ;
La mort l’a fait cela, l’on peut voir sur sa bouche
Le bâillement hideux, du sommeil inconnu.
Oh ! quel air effroyable a ce cadavre nu !
Ce n’est plus ni l’enfant, ni l’époux, ni l’amante,
C’est un mort ! Alentour la maison se lamente,
Mais lui, mystérieux, immobile, glacé,
Avec sa bouche d’ombre et ses yeux de ténèbres,
Demeure. — Il a vécu. — C’est tout. — Il a passé.
On entend dans ses os des craquemens funèbres ;
On est là, regardant, stupide, anéanti,
Cette main, ces cheveux, ce front, cette paupière,
Cette femme d’albâtre ou cet homme de pierre,
Cette armure de l’être et d’où l’être est parti,
Toujours là, répétant le même mot sans cesse :
« Mais c’était mon enfant, ma mère, ma maîtresse !
« Je l’aimais ! ô mon Dieu ! Pourquoi ? Qu’ai-je donc fait ?
La nuit reste muette et l’Éternel se tait.
Et quand vient le matin, et quand on vous l’emporte,
Et quand on le descend !… Ce voile à cette porte !
Et l’immonde attirail de ces choses sans nom !
Et quand on se révolte, et quand on se dit : Non !
Et l’église, et le prêtre, et la tombe, et la terre,