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est soumise à plus de charges, elle a une plus grande responsabilité vis-à-vis du public. Le banquier ordinaire, pour une raison ou pour une autre, peut choisir ses cliens, il peut même fermer ses guichets quand cela lui convient et refuser l’escompte ; la Banque de France ne choisit pas ses cliens, elle est obligée d’admettre tout le monde aux conditions fixées par son règlement, et non-seulement elle est obligée d’admettre tout le monde, de prêter le crédit le plus large qui existe, mais ce crédit, elle ne peut pas le suspendre, l’arrêter, sous peine d’un cataclysme effroyable. Je ne connais pas de moyen qui lui permette d’accomplir ce devoir en dehors de l’élévation facultative du taux de l’escompte.

Maintenant, après cet examen des principales questions soulevées par le questionnaire de l’enquête, quelle conclusion doit-on en tirer ? La conclusion à en tirer, c’est que la Banque de France a été injustement attaquée, et qu’elle était complètement étrangère aux causes qui ont amené la crise de 1863 et de 1864. En élevant le taux de son escompte, elle s’est comportée vis-à-vis de cette crise comme le médecin qui voit le mal et qui s’applique à le guérir avant qu’il n’ait pris des proportions trop graves. Elle devra donc, à part quelques détails insignifîans, sortir triomphante de l’enquête. Seulement ce qui paraîtra bizarre, c’est que le premier mot de cette enquête soit parti de l’établissement qui a la plus grosse responsabilité dans la dernière crise. N’est-ce pas en effet le Crédit mobilier, pour l’appeler par son nom, qui a provoqué plus qu’aucun autre la mauvaise direction des capitaux qui sont allés se perdre dans des entreprises douteuses, tant à l’intérieur qu’à l’étranger ? N’est-ce pas lui qui soutient par un crédit factice les dépenses exagérées que l’on fait pour la transformation des villes ? Et quand toutes ces tentatives aventureuses ont produit leur conséquence naturelle, qui est l’élévation du prix de l’argent, il est encore le premier à se plaindre et à déchaîner contre la Banque de France, par des déclamations stériles, les passions et les intérêts. Il serait grand temps d’en finir avec ces déclamations, qui n’ont d’autre effet que d’agiter le public et de lui donner le change sur la cause des maux dont il souffre. Espérons que l’enquête qui se poursuit nous rendra ce service ; espérons que la commission qui la dirige, lorsqu’elle aura bien entendu tous les témoignages, bien pesé toutes les opinions, saura faire justice des expédiens ridicules qui se produisent chaque fois que l’argent est cher, et qu’elle dira énergiquement ce qu’il faut en penser.


VICTOR BONNET.