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à tout développement additionnel de la loi. Une plus grande liberté régnait parmi les Juifs d’Alexandrie : là prévalut la doctrine secrète. Il est bien remarquable que dans l’Évangile de saint Matthieu tous les anciens textes cités sont empruntés dans les discours de Jésus à la Bible des Septante, et que dans tout le reste de cet Évangile ils le sont au canon hébraïque : la pensée de Jésus, même dans saint Matthieu, procède donc d’Alexandrie.

Je n’ose affirmer, malgré les savantes pages de M. de Bunsen, que telle soit la véritable interprétation des écrits bibliques antérieurs à la captivité de Babylone. J’aurais voulu trouver dans cette partie de son livre autre chose que des calculs : des textes hébraïques rapprochés des textes aryens de l’Avesta auraient plus fait peut-être pour la démonstration que des dates toujours incertaines et des interprétations toujours attaquables. J’avoue que la lecture de David me jette souvent au milieu de souvenirs orientaux ; je suis frappé de ce que l’église romaine, dans ses rituels, place si souvent des psaumes à côté d’oraisons d’une origine évidemment aryenne, et de ce qu’elle a nettement adopté l’idée de la vocation d’Abraham. Il y a là une partie du problème que l’on voudrait voir traitée à fond par M. Ernest de Bunsen. L’identification de Zoroastre avec Adam ne me paraît ni évidente ni nécessaire : si les fils d’Adam sont des symboles, Adam n’en est-il pas un lui-même ? Et Zoroastre, est-on bien sûr qu’il ait jamais existé autrement que comme une personnification ? S’il est tel qu’Adam et tel que le Manou des Indiens, il devient inutile de chercher sa date. Il en faudrait peut-être dire autant d’Abraham et penser de lui ce que saint Paul pensait de ses enfans. Le peu de solidité de ces antiques figures nous oblige à traiter la question des origines suivant une autre méthode, à reléguer au second plan une chronologie fantastique, à reconnaître les routes que l’humanité a suivies au moyen des doctrines qu’elle-même a consignées dans ses plus anciens monumens. C’est ce qu’a fait M. de Bunsen pour les dogmes chrétiens, dont il a, selon nous, parfaitement retrouvé la trace en remontant de l’Évangile de Jean à la captivité de Babylone. Qu’avant cette époque il y ait eu chez les Juifs un ancien courant d’idées aryennes, c’est ce qui nous semble probable, mais pour des raisons dont M. de Bunsen ne parle pas. Quoi qu’il en soit, nous n’hésitons pas à dire qu’il a le premier restitué dans sa réalité historique la grande tradition orientale dont le Christ et les apôtres ont été les derniers promulgateurs.


ÉMILE BURNOUF.