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de Sorrente, d’Amalfi, de Salerne, de Messine et de Palerme. Le passé de l’Italie éclaire son avenir.

Les hommes qui ont eu un rôle important dans l’histoire de l’Italie n’ont pas oublié ces liens naturels établis entre l’Orient et l’Italie par la géographie, par l’histoire, par les souvenirs mêmes de la domination byzantine et musulmane dans l’Italie méridionale et en Sicile. À peine établis en Italie, les Normands, sous Robert Guiscard (1081) et sous Bohémond, passent l’Adriatique, s’emparent de Corfou, font le siège de Dyrrachium en Illyrie et remportent une grande victoire sur les Grecs. Les rois normands de la Sicile, jusqu’à la fin de leur race, ont tous leur ambition tournée vers l’Orient et vers Constantinople. De même que Constantinople avait longtemps dominé l’Italie et la Sicile, celles-ci veulent à leur tour dominer Constantinople. L’empire romain, même dans sa décadence, avait laissé dans les esprits une telle idée de l’unité qu’une province à peine libre voulait acquérir le reste de l’empire. Une fois maîtres de l’Italie méridionale et de la Sicile par le mariage de la dernière héritière des rois normands avec Henri VI (1189), les césars allemands ont la même ambition. Charles d’Anjou (1266-1285) pense aussi à l’empire d’Orient. À peine Charles VIII de France est-il arrivé à Naples qu’il prend la couronne impériale (1483) et veut relever l’empire grec, tombé au pouvoir des Turcs. Charles-Quint doit sa popularité et son ascendant en Italie à ses victoires contre les Barbaresques en Afrique. Les papes, qui n’ont jamais abandonné l’idée des croisades, ont, sous Pie V, une grande part à cette victoire de Lépante (1571) qui met à la fortune conquérante des Turcs une borne qu’elle n’a plus franchie, et en-deçà de laquelle elle a sans cesse reculé. Glorieux privilège et grande leçon pour l’Italie d’avoir son nom mêlé à toutes les grandes revendications de l’Europe sur l’Orient avant, pendant et après les croisades ! Dans l’Occident, les croisades ont été un accès d’héroïsme religieux et chevaleresque qui à duré à peu près deux cents ans. En Italie, la croisade, soit défensive, soit offensive, a été continuelle : elle a duré depuis le commencement du IXe siècle jusqu’à la fin du XVIIIe. Étudiant l’histoire de la question d’Orient, je ne pouvais pas oublier le pays qu’on a vu y jouer le plus grand rôle dans les temps les plus périlleux.


Saint-Marc Girardin.